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VIVRE EN LITTÉRATURE ET POÉSIE : LE LIED, RÉVOLUTIONNE L’INTERPRÉTATION, LA POÉTIQUE, L’IMAGINAIRE – FRANZ SCHUBERT

Franz Schubert : La révolution du lied

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Franz Schubert : La révolution du lied

Par Sylvain Fort – Publié le 4 janvier 2023 DIAPASON

En l’espace de sa brève vie et de six cents lieder, Schubert accomplit la transfiguration totale d’un genre musical et littéraire. Ce sont en fait trois révolutions et non une seule qu’il provoque : une révolution de la poétique, une révolution de l’imaginaire, et une révolution de l’interprétation.

Dans la Vienne où Schubert naquit, comme dans tout le monde germanophone, on aimait le lied. On appelait ainsi les compositions des Johan Rudolf Zumsteeg, Johann Friedrich Reichardt, Carl Friedrich Zelter, charmantes ballades ou douces saynètes, sagement strophiques, s’efforçant de prendre le ton de la chanson populaire pour complaire au goût répandu du folklore. Cette Vienne était celle aussi de Beethoven : « que peut-on encore faire après Beethoven ? » soupirait Schubert enfant. Bien que le lied ne fût pas son genre de prédilection, l’auteur de Fidelio ne le dédaignait pas. Adelaide(1796) enchante.

Les Gellert-lieder(1803) sont d’une gravité dont Brahms, peut-être, se souviendra. An die ferne Geliebte (A la Bien-aimée lointaine) est publié en 1816. Beethoven, alors, a la maturité de ses quarante-six ans. Il infléchit l’esthétique du genre – composition continue, variation des atmosphères. Oui, que faire après Beethoven ?

Nul ne le sait encore, mais cette prometteuse Ferne Geliebte est déjà dépassée. Schubert, deux ans avant, dans le secret de sa chambre, du haut de ses dix-sept ans, avait déjà révolutionné le genre en composant, sur un poème de Goethe, sa Gretchen am Spinnrade(Marguerite au rouet). Fin 1815, c’est son Erlkönig (Roi des aulnes) qui bouleverse la conception que l’on pouvait alors se faire du lied. Certes, ces deux opus (respectivement nos 2 et 1) ne seraient publiés que cinq ans plus tard.

Mais déjà, ceux qui connaissaient Schubert savaient que la déflagration avait eu lieu. Encore ne mentionne-t-on de ces deux années d’efflorescence que ce couple de lieder emblématiques. Mais 1814 est aussi, entre autres, l’année de Der Taucher (Le Plongeur) d’après Schiller. 1815 portera une moisson de cent cinquante lieder, 1816de plus de cent… Les années suivantes seraient moins fécondes, mais non moins profondes.

La transfiguration totale d’un genre musical (et littéraire) par ce jeune homme ardent et joufflu ne parvint certes pas aussitôt aux notables de la musique, qu’il tentait d’amadouer en vain par opéras et Singspiele de moindre portée, quand dans la fièvre de son cabinet, il inventait en ses lieder ce que Liszt appellerait « des conflits brefs mais mortels ». Ce sont en fait trois révolutions et non une seule que Schubert provoqua en l’espace de sa brève vie et de six cents lieder : une révolution de la poétique, une révolution de l’imaginaire, et une révolution de l’interprétation.

Une révolution de la poétique

Faut-il, avec Valéry, parler de « poïétique » pour souligner que le fait poétique tient d’abord à un art de la facture (poïein, en grec : faire, fabriquer) ? C’est cela d’abord que Schubert forgea à nouveaux frais, en donnant au lied une nouvelle voix : celle du piano. Lui qui, déménageant de galetas en galetas, n’avait presque rien à lui, eut toujours un piano. Dans ses premiers lieder, ce n’est pas le traitement neuf de la voix humaine qui frappe, mais bien l’irruption d’un piano qui, tantôt chante, tantôt décrit voire imite, tantôt dit ce que la voix ne dit pas. Le piano, chez Schubert, n’accompagne pas.

Il ne se contente même pas de « chanter avec » (mitsingen). Il ouvre l’arrière-monde du texte littéraire. Il fait surgir ce que le texte suggère ; entendre ce qui ne s’y révèle qu’à demi-mot. De 1814 à 1827, le lied schubertien pourrait être analysé comme l’immense déploiement des capacités narratives, dramatiques, mimétiques du piano.

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