Aller au contenu principal

SCIENCES ET VÉRITÉS RELATIVES

ÉMISSION

Comment vivent les « vérités scientifiques » ?

Mercredi 25 janvier 2023 FRANCE CULTURE

Bien sûr, la Terre est ronde et tout semble indiquer que cela va durer, mais qu’en est-il des autres vérités scientifiques, ni absolues ni définitives ?

La philosophie des Lumières défendait l’idée que la souveraineté d’un peuple libre se heurte à une limite, celle de la vérité, sur laquelle elle ne saurait avoir de prise. David Hume écrit en 1742 : « Même si le genre humain tout entier concluait de manière définitive que le Soleil se meut et que la Terre demeure en repos, en dépit de ces raisonnements, le Soleil ne bougerait pas d’un pouce de sa place et ces conclusions resteraient fausses et erronées à jamais » (1). Les vérités scientifiques, nous dit en somme le philosophe écossais, ne sauraient relever d’un vote.

« Avoir un avis n’équivaut nullement à connaître la justesse ou la fausseté d’un énoncé scientifique »

Le droit des citoyens à poser des questions, à enquêter, à émettre des avis, à interpeler les chercheurs comme les gouvernants, n’en demeure pas moins un droit absolu. Et qu’il doit leur être répondu de la façon la plus honnête possible. Mais avoir un avis n’équivaut nullement à connaître la justesse ou la fausseté d’un énoncé scientifique. Au demeurant, l’indépendance de la vérité scientifique évoquée par Hume n’enlève rien à la liberté individuelle : ni Galilée, ni Newton, ni Darwin, ni Einstein n’étaient des dictateurs en puissance. Elle la protège, au contraire, du moins en démocratie. Car lorsque le pouvoir ment, trompe ou se trompe, l’individu peut alors se réclamer de cette vérité pour le contester.

Les « vérités de science » ne sont ni absolues ni définitives

Hume laisse toutefois dans l’ombre un point important : les « vérités de science » ne sont ni absolues ni définitives. Bien sûr, certaines sont si solides qu’on voit mal comment on pourrait un jour les considérer comme fausses : par exemple, la Terre est ronde et tout semble indiquer que cela va durer ; l’atome existe, et là aussi, il s’agit d’un énoncé qui n’est pas près de devenir faux. Mais certaines vérités de science finissent par devenir tout à fait fausses. Par exemple, la théorie du phlogistique, qui postulait au XVIIe siècle que la combustion d’un corps consistait en l’émission par ce corps d’un fluide, le phlogiston, a été invalidée par Lavoisier au XVIIIe siècle. Le phlogiston n’existe pas. Idem pour l’éther luminifère, censé servir de support à la propagation de la lumière, qui rendit l’âme en 1905 après un bon siècle d’existence virtuelle.

La Terre est bien ronde mais elle ne tourne pas autour du Soleil

Mais d’autres « vérités de science », sans être démenties, peuvent présenter au fil du temps un visage changeant. Ainsi, dans une certaine mesure, il est devenu inexact de dire que la Terre tourne autour du Soleil. Cette formulation laisse en effet entendre que le Soleil occuperait une sorte de « centre », ou constituerait un référentiel au statut particulier, différent des autres. Or, les succès de la théorie de la relativité générale, formulée par Einstein en 1915, l’ont formellement établi : tous les référentiels sont strictement équivalents. En clair, il n’en est pas un dont on pourrait dire qu’il a quelque chose de spécial par rapport aux autres, et cela vaut bien sûr pour le référentiel associé au Soleil. Copernic et Galilée s’étaient-ils pour autant trompés ? Non, pas vraiment : ils avaient apporté, à leur époque, la bonne réponse à une question posée d’une certaine façon. Depuis, des révolutions scientifiques ont bouleversé la façon de comprendre la gravitation, donc la description des phénomènes qu’elle régit.

Comme quoi, lorsqu’on invoque des « vérités de science » », il convient d’être précis et prudent dans la façon de les énoncer. Faute de quoi, on ouvre grand la porte à ceux qui ne leur reconnaissent pas ce statut, les traitent par le dédain ou les contestent au nom de leur intuition. « Il est difficile de dire la vérité, a écrit Franz Kafka, car il n’y en a qu’une, mais elle est vivante, et a par conséquent un visage changeant ». C’est ça qui est bien avec les phrases de Kafka : il y a toujours de quoi « faire réflexion là-dessus » (…)

(1) David Hume, Le Sceptique, dans Essais moraux, politiques et littéraires, Alive, 1999, p. 21

Votre commentaire

Entrez vos coordonnées ci-dessous ou cliquez sur une icône pour vous connecter:

Logo WordPress.com

Vous commentez à l’aide de votre compte WordPress.com. Déconnexion /  Changer )

Image Twitter

Vous commentez à l’aide de votre compte Twitter. Déconnexion /  Changer )

Photo Facebook

Vous commentez à l’aide de votre compte Facebook. Déconnexion /  Changer )

Connexion à %s

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur la façon dont les données de vos commentaires sont traitées.

%d blogueurs aiment cette page :