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LE CHÂTEAU DE VERSAILLES DEVENU CENTRAL DANS LA TRÈS PRÉSIDENTIELLE « RÉPUBLIQUE EXEMPLAIRE »

ÉMISSION

Les petits privilèges de Catherine Pégard au Château de Versailles

Par Frédéric Martel. Publié le lundi 2 janvier 2023 FRANCE CULTURE

Présidente du Château de Versailles depuis plus de onze ans, Catherine Pégard pourrait voir son mandat renouvelé. Malgré la limite d’âge et un bilan discutable. Un billet signé Frédéric Martel, producteur de Soft Power.

Depuis Jack Lang, la plupart des ministres de la Culture semblent avoir perdu de leur lustre et de leur influence. François Hollande a usé trois ministres de la Culture ; Emmanuel Macron en est déjà à son quatrième. Leur influence s’est étiolée et leur pouvoir s’affaiblit. L’une des rares prérogatives qui reste aux ministres de la Culture demeure celle des nominations.

Peu de ministères offrent autant de possibilités de nomination à des postes de renom que la Culture, entre les musées nationaux et les établissements publics, les ballets et autres scènes nationales. Beaucoup de nominations importantes ont été faites par les ministres de la Culture d’Emmanuel Macron, souvent sous le contrôle direct ou indirect de l’Élysée (dont le génial Christophe Leribault à Orsay, l’iconoclaste et non moins génial Laurent Le Bon à Pompidou ou la mystérieuse Laurence des Cars au Louvre). De nouvelles, et non des moindres, s’annoncent pour 2023.

Arrêtons-nous sur un cas particulier, qui pourrait faire couler beaucoup d’encre en ce début d’année : la nomination du nouveau président ou nouvelle présidente du Château de Versailles. Le poste est actuellement occupé par Catherine Pégard, ancienne rédactrice en chef au Point et grande journaliste politique, mais qui va atteindre l’âge légal limite pour occuper cette fonction.

Or, un coup de théâtre vient d’avoir lieu en catimini ces derniers jours. Selon nos confrères de La Lettre A, en principe bien informés, l’exécutif chercherait par tous les moyens à prolonger le mandat de Catherine Pégard, y compris en changeant les règles du jeu. Un décret aurait été soumis au Conseil d’État en ce sens, même si on ne peut confirmer à ce stade qu’il a été concocté spécialement pour Pégard, comme l’affirme La Lettre A (tant que sa prolongation n’a pas été actée, la question reste ouverte).

Toujours est-il qu’à 69 ans, Catherine Pégard a déjà dépassé la limite d’âge pour exercer un mandat de direction d’établissement public.

De la baignoire à la cave jusqu’au château

Pourquoi un tel contournement des règles ? Ce « deux poids, deux mesures » serait-il indigne, s’il était confirmé, du président de la République ?

À la tête du Château de Versailles depuis onze ans, la très versaillaise Catherine Pégard a un bilan somme toute modeste, pour ne pas dire médiocre. Elle n’a pas innové et elle reste transparente dans les médias. « Je suis étanche« , nous disait-elle, lorsque nous la rencontrions à l’Élysée à l’époque où elle était une conseillère influente de Nicolas Sarkozy. Femme du « off » et taiseuse, comme le veulent ses origines normandes, elle n’aime pas parler en public. Mais à force de se taire, elle est devenue invisible et surtout inaudible.

Rappelons que sa nomination au Château de Versailles, le 31 août 2011, ne fut pas le résultat d’une promotion, mais d’une exfiltration. En effet, celle qui avait réussi à murmurer à l’oreille du président Sarkozy, lorsqu’elle était devenue une sarkozyste « canal historique », avait fini par chuchoter dans le vide. Il fut un temps où elle recevait les journalistes pour des « off » dans sa baignoire : cela passe encore d’avoir la réputation d’être une tombe, mais une baignoire ! À l’Élysée, Pégard occupait en effet un magnifique bureau qui, sous Napoléon III, était la salle de bain de l’impératrice Eugénie. On y accédait par un minuscule couloir, comme si on entrait dans un placard : la « baignoire », une pièce d’angle, était contiguëe au salon doré où se trouve le bureau du président de la République.

De cette pièce stratégique, Pégard a orchestré avec Carla Bruni une opération de « com » très réussie qui a consisté à faire croire que Sarkozy, l’homme de la culture « middlebrow » par excellence, était passé du beauf à la haute culture, en gros des Bronzés à Visconti et de Louis de Funès à Robert Bresson ! Même Les Inrockuptibles y ont cru !

Puis un jour, pour une raison méconnue, Pégard a perdu de l’influence. Elle fut délogée de l’étage noble de l’Élysée et reléguée dans « les ailes », à l’ouest de la cour d’honneur du Palais, sous les toits. Par la suite, on a deviné que la chute se poursuivait car elle recevait les journalistes dans un café chic de la place des Invalides plutôt qu’à l’Élysée. Et nul n’osait lui demander si elle avait maintenant était reléguée à la cave et n’avait plus envie de montrer son antre. C’est une époque où on sentait Pégard blessée par l’ingratitude de Sarkozy, déçue par la politique qu’elle avait toujours suivie de près mais que pour la première fois seulement, elle vivait de l’intérieur. (J’ai raconté cet épisode dans un livre, J’aime pas le sarkozysme culturel).

À réécouter : La salle du Jeu de Paume à Versailles, là où est née la démocratie française

Au « château », se sentant écartée, et la présidentielle menaçant d’un vent mauvais en cette année 2011, la journaliste a voulu bénéficier d’une retraite dorée qu’elle estimait méritée, et ce d’autant plus qu’elle avait brûlé ses vaisseaux en quittant le journalisme pour la politique. Alors, elle a comploté pour décrocher le pompon. La taiseuse n’étant pas moins teigneuse, elle a voulu, en bonne sarkozyste, se payer un chiraquien : l’inventif Jean-Jacques Aillagon, ancien ministre de la Culture, et alors patron du Château de Versailles.

La taiseuse qui n’a jamais l’air d’y toucher a lorgné tellement le poste que le Prince, qui pouvait bien placardiser sa conseillère, mais n’était pas capable de lui refuser Versailles, a cédé. Et le 31 août 2011, Catherine Pégard, qui n’a jamais dirigé ni la moindre MJC ni la moindre start-up, et dont l’expérience en management ou en diplomatie syndicale était en devenir, a été nommée par le Conseil des ministres, présidente du Château de Versailles. La campagne contre Aillagon a porté ses fruits : en cause son âge, le malheureux venait juste de fêter ses 65 ans !

Une sarkozyste chassait un chiraquien : il y avait une morale à cette histoire. Pourtant, c’était oublier un peu vite que Versailles devenait ainsi le placard doré des anciens conseillers déshérités et autres ministres de la Culture défroqués. Christine Albanel avait été, elle-même, placée à la tête de Versailles après sa sortie piteuse de la rue de Valois et il est piquant de relire aujourd’hui une chronique au sujet d’Albanel : « la légèreté et l’indignité de Marie-Antoinette, adulée par des cohortes de Japonais« . L’article était signé dans Le Point par… Catherine Pégard.

À la tête de Versailles : quel bilan de Catherine Pégard ?

Depuis, la politique joue son jeu. François Hollandequi a eu besoin de Chirac pour battre Nicolas Sarkozy a reconduit Pégard pour de mauvaises raisons. Emmanuel Macron qui apprécie l’ancien président Sarkozy a reconduit Pégard pour de bonnes (si on parle stratégie politique). Mais du bilan est-il seulement question ?

Car à Versailles, Catherine Pégard n’a pas fait de lumières : elle a dit vouloir interrompre les grands projets de ses prédécesseurs, comme les expositions temporaires audacieuses de Jeff Koons, Takushi Murakami ou Xavier Veilhan qui faisaient revenir les Parisiens à Versailles (pour être juste, rappelons qu’après avoir dénoncé le travail de Aillagon sur Koons et Murakami, elle a changé d’aviset a elle-même organisé une exposition de l’Italien Giuseppe Penone ou de l’artiste Anish Kapoor dont l’œuvre Le Vagin de la Reine a même suscité un petit scandale).

Solitaire, elle a fait un peu de mécénat (parfois à la limite de la déontologie) et a contribué à l’ouverture de salles supplémentaires au public. Elle a également mené quelques travaux de restauration ou défendu le projet d’un nouveau bâtiment d’accueil au pavillon Dufour confié à l’architecte Dominique Perrault (mais le projet débuté en 2011 a été imaginé et mis au concours par son prédécesseur). L’idée était toutefois intéressante – repenser l’entrée de Versailles comme avec la pyramide du Louvre –, mais le projet final peine à convaincre pour permettre aux touristes venus en masse d’éviter de faire la queue sous la pluie l’hiver ou en plein soleil l’été.

Encore faut-il qu’il y ait du public. Covid oblige, l’effondrement de la fréquentation de Versailles fut spectaculaire : de 8,2 millions de visiteurs en 2019, le Château de Versailles est passé à 2,5 millions en 2021 (et ses recettes respectivement de 65 à 16,3 millions d’euros). Une hécatombe ! Une hémorragie ! Bien sûr, ce bilan dramatique n’est pas imputable à Catherine Pégard mais son manque d’imagination l’est. Un Jack Lang, un Jean-Jacques Aillagon ou même un Henri Loyrette auraient été inventifs, audacieux pour repenser Versailles et y ramener le public de gré ou de force. Pégard s’est contentée de faire appel à la puissance publique qui lui a versé en 2021 la somme de 141 millions d’euros pour compenser ses pertes (dont 51 millions dans le cadre du plan de relance). Il y a des bilans plus équilibrés.

Une reconduction douteuse

Voilà pourquoi cette re-nomination abracadabrantesque, si elle devait être confirmée, d’une directrice de 69 ans au bilan chagrin ne va pas manquer de susciter de vives critiques. Hors limite d’âge et sans véritable bilan, on peine à comprendre la logique de cette nomination qui, semble-t-il, échappe aussi à une ministre de la Culture transparente pour rester entre les mains du tout-puissant président Macron. Suffit-il d’être sarkozyste, d’avoir accueilli les présidents à la Lanterne et d’avoir organisé quelques dîners de galas à Versailles, pour être reconduit indéfiniment à un poste ? Et comme s’il n’y avait pas d’autres talents en France qui pourraient utilement réimaginer Versailles ? Et pourquoi Catherine Pégard se prête-t-elle à ce jeu alors qu’elle a bien mérité sa retraite (à moins qu’elle en soit, comme pour l’éviction de Jean-Jacques Aillagon, l’instigatrice taiseuse) ?

La morale de l’histoire : une courtisane a fait éjecter Jean-Jacques Aillagon de Versailles, quand son bilan était bon, pour prendre sa place en prétextant de sa limite d’âge. On utilise aujourd’hui une règle inverse pour tenter de renommer une présidente au bilan plus que mitigé et qui dépasse la limite d’âge. Il y a une expression pour cela : le fait du prince.

La Ve République se meurt de ces faits du prince qui, s’ils étaient adossés à un bilan honorable, n’en seraient pas moins critiquables. Mais sans mention à un bilan, ils deviennent insupportables. Et devant tant de privilèges et de machiavélisme, on doute que Marie-Antoinette elle-même ne se retourne dans sa tombe. Ou y perde la tête.

(Cette chronique de Frédéric Martel a été diffusée dans une version abrégée sur France Culture dans l’émission « Soft Power » le dimanche 1er janvier : à réécouter ici. Les journalistes Emmanuel Paquette et Sarah Hugounenq ont contribué à cette chronique)

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