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L’IMAGE DE LA FRANCE AMÉLIORÉE EN AFRIQUE (2) ? « RIEN N’EST MOINS SÛR »

NOTRE PRÉCÉDENTE PUBLICATION

*VOYAGE ET LEÇONS D’AFRIQUE, DES CRITIQUES FORT NOMBREUSES https://metahodos.fr/2023/03/13/emmanuel-macron-en-afrique-pourquoi-son-voyage-a-ete-autant-critique/

ARTICLE

Emmanuel Macron et l’Afrique : les bugs du nouveau logiciel

Christophe Châtelot LE MONDE

A l’occasion d’un voyage express au Gabon, en Angola, au Congo et en RDC, le chef de l’Etat a voulu redorer l’image de la France sur le continent et défendre de nouveaux partenariats.

La tournée express d’Emmanuel Macron – 72 heures au Gabon, en Angola, au Congo-Brazzaville puis en République démocratique du Congo (RDC) – a-t-elle permis d’améliorer l’image ternie de la France sur le continent ? Rien n’est moins sûr. Pourtant, aucun chef d’Etat ou de gouvernement européen – voire au-delà – n’est allé aussi fréquemment que le président français en Afrique. Son dernier déplacement, du 1er au 4 mars, était le 18e depuis sa première élection en mai 2017, pour vingt-cinq pays visités.

Du New Akrika Shrine de Lagos, le night-club du fils du musicien et activiste Fela Kuti, aux églises chrétiennes orthodoxes de Lalibela, Emmanuel Macron est souvent sorti du pré carré des anciennes colonies françaises. Il s’est notamment rendu au Nigeria, en Ethiopie, au Kenya, en Afrique du Sud ou en Angola. Autant de puissances économiques affirmées ou en devenir avec lesquelles la France entend développer des relations décomplexées, renouvelées, vierges du passif colonial.

Son dernier voyage combinait le poids du passé aux promesses de l’avenir. Dans le premier registre, l’étape de Brazzaville avait tout du piège. Denis Sassou-Nguesso (79 ans) est le témoin toujours vivant d’une histoire franco-africaine dont Emmanuel Macron aimerait tourner la page. Mais l’homme fort de Brazzaville est bien ancré au pouvoir. Président depuis 1979, à l’exception d’une poignée d’années (1992-1997) de guerre civile et d’un court exil en France, il a vu défiler six présidents français.

Emmanuel Macron a tenté d’esquiver cette étape embarrassante en réduisant au maximum l’empreinte de son séjour. Il n’a foulé le sol de la république pétrolière, qui fit les beaux jours d’Elf Aquitaine, ancêtre de Total, que trois petites heures, dont la moitié passée avec la communauté française dans les jardins de la résidence de l’ambassadeur. D’un saut de puce en avion (15 minutes de vol), le chef de l’Etat français est ensuite allé dormir en face de Brazzaville, à Kinshasa, en RDC, capitale jumelle située juste en face, sur l’autre rive du fleuve Congo.

Talents d’équilibristes

Denis Sassou-Nguesso a pris un malin plaisir à saboter tous ces efforts de discrétion planifiés par l’Elysée. C’est en grand équipage, fanfare à l’appui, qu’il a reçu son homologue sur le tarmac de l’aéroport de Brazzaville. Tout le gouvernement congolais était là, aligné au bord du tapis rouge avant de prendre la direction de la présidence à bord d’une limousine impressionnante filant en convoi devant des banderoles célébrant l’indéfectible amitié entre les deux pays.

Appelé à justifier cette halte congolaise, et sa cohérence avec l’annonce de la fin de la Françafrique, Emmanuel Macron a expliqué : « On assume tout mais on part d’un nouveau pas. Le président Sassou-Nguesso est président depuis longtemps dans son pays, ce n’est pas le choix de la France ». Puis d’ajouter : « Il ne faut humilier personne quand on fait une tournée régionale. » Le propos peut être néanmoins vexant.

Cela illustre les talents d’équilibristes dont il faut faire preuve pour renouveler le logiciel franco-africain. Ainsi, parmi les chantiers d’avenir figure la lutte contre le réchauffement climatique. Ce fut l’objet du One Forest Summit de Libreville (1er et 2 mars) consacré à la préservation de la forêt du bassin du Congo. Un tel projet vertueux sur le plan environnemental implique de gérer quelques contradictions, notamment sur le plan des principes démocratiques.

Lors de son discours du 27 février, Emmanuel Macron a ainsi rappelé que la France « préfère les institutions solides aux hommes providentiels [et] considère que les putschs militaires ne seront jamais des alternances démocratiques ». Pour autant, se pencher sur le potentiel des crédits carbone des forêts du fleuve Congo nécessite d’inviter à sa table les présidents des trois pays concernés (les deux Congo et le Gabon). Autrement dit : un indéboulonnable autocrate à Brazzaville, l’héritier d’une famille au pouvoir depuis 1967 à Libreville, et le président élu à l’issue d’un tour de passe-passe électoral à Kinshasa. Pas de quoi rassurer les organisations de défense des droits humains.

Privilégier les partenariats ?

Car si la France revendique sa « neutralité politique totale », elle traîne un lourd passif. Celui d’avoir tant de fois agi dans l’ombre, installé ou démis des régimes, soutenu des dictatures qui faisaient son affaire. Au Gabon et en RDC, deux pays où doivent se tenir prochainement des présidentielles, certaines oppositions ont donc facilement dépeint la visite d’Emmanuel Macron comme une (nouvelle) manœuvre d’ingérence en faveur des pouvoirs en place.

Sur le plan sécuritaire, ce voyage n’aura pas non plus permis de clarifier la nouvelle doxa alors que Paris veut réaffirmer sa puissance. Le redéploiement annoncé des forces françaises en Afrique en est seulement à ses prémices. Ses contours sont encore flous. « Dans le même temps », la France doit répéter qu’il s’agit bien d’une réorganisation et non d’une retraite, la tête basse, du continent. Comme pourrait le laisser penser son départ sans gloire de ses bases au Sahel. D’autant que les autorités françaises ne parviennent pas à contenir la propagande du Kremlin. Ni celle de la société de sécurité privée russe Wagner qui s’est infiltrée dans d’anciens bastions français (Centrafrique, Mali…).

Sur le plan sécuritaire, encore, la diplomatie française s’est ouvertement investie pour parvenir à une désescalade des violences qui ont ressurgi en novembre 2021 dans l’est du Congo. L’objectif était de faire converger les différents plans de paix régionaux (Luanda, Nairobi, Bujumbura) conclus depuis un an et « d’aligner » les différents acteurs régionaux, selon le terme choisi par l’Elysée.

A Kinshasa, Emmanuel Macon avait salué un premier pas vers cette désescalade : l’engagement de toutes les parties pour un cessez-le-feu à compter du 7 mars. Las, l’engagement est demeuré lettre morte. Parallèlement, Emmanuel Macron a confirmé qu’il ménage son allié rwandais. L’Elysée affirme en privé détenir « les preuves » que Kigali est le principal soutien de la rébellion congolaise du M23. Rien de tel en public. Mais il enjoint Kinshasa de « ne pas chercher de coupables à l’extérieur ». « Bâtissez une armée solide, construisez la sécurité autour de l’Etat (…), faites passer la justice transitionnelle pour que vous n’ayez pas de criminels de guerre encore en responsabilité ou sur le terrain. » Cette séquence tourne en boucle sur les réseaux sociaux, associée à des propos peu amènes sur un président français donneur de leçon.

La France, explique-t-on pourtant, privilégie dorénavant les partenariats. « Nous placer seul au centre du jeu, ce temps est révolu », a expliqué le président Macron. Le voudrait-il qu’il n’en aurait pas les moyens. Depuis le début de l’année, la présidence angolaise a reçu les ministres russe, chinois et belge des affaires étrangères ainsi que le roi d’Espagne. En attendant la venue du président brésilien Lula. Sans compter la relance de la diplomatie américaine en Afrique après une forme de repli, durant la présidence de Donald Trump. La concurrence est rude.

Christophe Châtelot

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