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TRIBUNE : « LE Cl. CONSTITUTIONNEL VA T IL OSER NE PAS CENSURER … ? »

Dix enseignants en droit public

Dix enseignants en droit public de l’université Paris-Nanterre détaillent, dans une tribune au « Monde », les raisons qui permettraient selon eux de déclarer la loi sur la réforme des retraites contraire à la Constitution.

LES DEUX PUBLICATIONS PRÉCÉDENTES DE METAHODOS

Dominique Rousseau, constitutionnaliste : « Il semble difficile que le Conseil constitutionnel ne censure pas la loi sur la réforme des retraites » https://metahodos.fr/2023/03/26/dominique-rousseau-constitutionnaliste-il-semble-difficile-que-le-conseil-constitutionnel-ne-censure-pas-la-loi-sur-la-reforme-des-retraites/

UNE POSSIBLE CENSURE PAR LE Cl.CONSTITUTIONNEL DU TEXTE SUR LES RETRAITES : LE DROIT PEUT IL ENCORE PRIMER SUR LE POLITIQUE ? https://metahodos.fr/2023/03/25/une-possible-censure-par-le-cl-constitutionnel-du-texte-sur-les-retraites-le-droit-primera-t-il-sur-le-politique/

TRIBUNE

« Le Conseil constitutionnel va-t-il oser ne pas censurer la réforme des retraites ? »

Collectif LE MONDE 28 mars 2023

Le Conseil constitutionnel a été saisi le 21 mars de la loi réformant le système de retraites et la question, inévitablement, se pose : osera-t-il censurer ce texte ? Il est à vrai dire bien difficile d’anticiper les décisions de cette singulière institution ; ce qui est certain, c’est qu’elle aurait toutes les raisons de déclarer cette loi contraire à la Constitution.

Le principal argument en ce sens réside dans le choix opéré par le gouvernement de présenter cette réforme sous la forme d’une loi de financement de la Sécurité sociale (LFSS). Le problème juridique relève de ce que l’on appelle un problème de « qualification juridique » : le gouvernement pouvait-il utiliser la catégorie des LFSS pour y glisser sa réforme ?

On pourrait, intuitivement, estimer qu’il n’y a rien de choquant à ce qu’une réforme sur les retraites soit considérée comme telle (même si l’on peut douter que les constituants qui ont introduit ladite catégorie en 1996 l’aient jamais envisagé) : après tout, il s’agit bien d’un texte qui concerne le « budget social de la nation ». Le problème, c’est que ces LFSS sont normalement discutées et votées entre les mois d’octobre et de décembre, précisément parce qu’elles concernent l’exercice financier à venir. C’est d’ailleurs pourquoi l’article 47.1 de la Constitution prévoit des délais extrêmement serrés pour leur discussion parlementaire : au nom du principe de l’annualité, l’objectif est de voter ces textes avant le début de l’année civile concernée.

Qualification juridique contestable

Qu’à cela ne tienne, le gouvernement a néanmoins choisi d’utiliser cette voie pour faire adopter sa réforme des retraites, alors que ce projet a été déposé… fin janvier ! Par quel stratagème ? Tout simplement en qualifiant son texte de loi de financement « rectificative » de la Sécurité sociale (LFRSS). On les appelle « rectificatives », car elles sont normalement destinées à corriger les LFSS, notamment lorsque des événements imprévus nécessitent une intervention du législateur en cours d’exercice financier. Ce n’est évidemment pas le cas de la réforme des retraites proposée par le gouvernement : comme il n’a cessé de le répéter, il s’agit d’une réforme d’ordre structurel qui vise un équilibre du système sur une longue durée.

Lire aussi la tribune : s « Une censure globale de la réforme des retraites par le Conseil constitutionnel est peu probable »

Les raisons pour lesquelles le gouvernement a choisi cette qualification juridique contestable sont cependant limpides : les LFRSS sont considérées comme des LFSS et peuvent dès lors obéir à la même procédure d’adoption (prévue à l’article 47.1 de la Constitution), extrêmement favorable au gouvernement. Qu’on en juge : le débat s’engage sur le texte tel que présenté par le gouvernement (et non tel que modifié par la commission compétente) ; au bout de vingt jours de débats à l’Assemblée nationale, le gouvernement peut dessaisir cette dernière et transmettre le texte tel quel au Sénat (ce qu’il a fait le 17 février) ; ce dernier doit se prononcer en seulement quinze jours ; et si le Parlement ne se prononce pas dans un délai global de cinquante jours, le gouvernement peut adopter le texte par ordonnances. Il aurait donc pu laisser le délai de cinquante jours s’épuiser et dessaisir complètement le Parlement en procédant par voie d’ordonnances !

Lire aussi la tribune : Article réservé à nos abonnés Réforme des retraites : « Le Conseil constitutionnel a les moyens de proposer une sortie de la crise politique »

Le gouvernement a préféré couper court aux débats et utiliser le fameux article 49, alinéa 3, d’autant plus librement que ce mécanisme, qui ne peut normalement être actionné qu’une fois par session parlementaire, est susceptible de l’être de façon illimitée lorsqu’il s’agit de LFSS. On comprend dès lors que l’exécutif ait tenu à qualifier son texte de LFRSS, en dépit du caractère très discutable d’une telle qualification : elle lui permettait d’aborder les débats parlementaires en position de force face à un Parlement qui s’annonçait récalcitrant.

Une voie nouvelle à de futurs gouvernements

Reste à savoir ce que le Conseil constitutionnel va décider : va-t-il estimer qu’une réforme de cette ampleur ne peut pas être considérée comme une simple loi rectificative et juger que le gouvernement s’est livré à ce qu’on appelle communément un détournement de procédure ?

Il est possible que le Conseil constitutionnel se montre très indulgent en n’invalidant que des dispositions mineures – et se refuse à censurer le processus législatif dans son ensemble. C’est du reste ce que l’on serait tenté de suspecter, au regard de sa composition actuelle (y siègent notamment deux récents ministres d’Emmanuel Macron – Jacqueline Gourault et Jacques Mézard –, ainsi qu’un ancien premier ministre, Alain Juppé, ayant lui-même porté une réforme des retraites fort contestée).

Pourtant, il est une considération pragmatique qui mérite d’être rappelée à l’attention du Conseil : s’il se refusait à sanctionner le détournement de procédure en l’espèce, il ouvrirait à l’évidence une voie nouvelle à de futurs gouvernements. S’il suffit en effet de qualifier une réforme de LFRSS pour contraindre les parlementaires à des délais d’examen faméliques et échapper à toute limite dans l’usage de l’article 49.3, pourquoi un gouvernement s’en priverait-il ? Si le Conseil autorise un usage aussi large de cette catégorie de lois, on doit craindre qu’une brèche soit ouverte pour longtemps dans ce qui reste de la démocratie parlementaire en France. Comment, alors, pourrait-il à l’avenir continuer de prétendre à ce rôle de défenseur des droits de l’opposition, de garant des principes démocratiques et de l’Etat de droit ?

Alors, le Conseil constitutionnel va-t-il oser ne pas censurer la réforme des retraites ?

En censurant la LFRSS soumise en ce moment à son examen, en empêchant donc la promulgation d’une loi aussi impopulaire que discutable juridiquement, le Conseil constitutionnel apporterait la démonstration que nos institutions ne sont pas vouées à être absolument sourdes aux demandes sociales. Sans doute même permettrait-il au gouvernement de se sortir sans trop d’indignité de cette violente crise politique. Bref, il s’assurerait à moindres frais cette image de garant du bon fonctionnement des institutions qu’il a quelque peu perdue ces dernières années. Il aurait tant à gagner et si peu à perdre.

Les signataires : Isabelle Boucobza, Aurélien Camus, Véronique Champeil-Desplats, Stéphanie Hennette-Vauchez, Charlotte Girard, Thomas Hochmann, Arnaud Le Pillouer, Eric Millard, Thibaud Mulier, Patricia Rrapi. Tous sont des universitaires, spécialistes de droit public à l’université Paris-Nanterre.

Collectif

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