
A la surprise générale, les oppositions ont réussi à repousser en première lecture à l’Assemblée nationale le projet du gouvernement de mettre cet institut d’expertise sous la tutelle du gendarme du nucléaire, l’ASN.
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Sûreté nucléaire : les députés retoquent la suppression de l’IRSN voulue par Macron
par Jean-Christophe Féraud. LIBÉRATION
Une véritable claque pour l’exécutif et une victoire surprise pour les opposants, très nombreux, à la réforme brutale de la sûreté nucléaire voulue par le gouvernement qui prévoyait la disparition de l’Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN) et le transfert de ses équipes et missions au sein de l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN). Réunis ce mercredi pour voter le projet de loi d’accélération nucléaire qui contenait deux amendements gouvernementaux visant à supprimer l’IRSN, les députés ont finalement adopté un amendement de réécriture présenté par le député Liot (Libertés, indépendants, outre-mer et territoires), Benjamin Saint-Huile, et d’autres collègues visant au contraire à sanctuariser cet organisme d’expertise jugé essentiel pour le contrôle des installations nucléaires du pays.
Contre l’avis du gouvernement, la gauche et les écologistes renforcés par des parlementaires de tous horizons sont parvenus à faire adopter cet amendement qui stipule que «la sécurité nucléaire repose sur une organisation duale composée de l’ASN et de l’IRSN». Organisation qui «garantit l’indépendance entre d’une part les activités de contrôle de la sûreté nucléaire […] et d’autre part les missions d’expertise et de recherche de la sûreté nucléaire, de la radioprotection et des activités nucléaires». L’adoption de cet amendement réécrit complètement le passage de la loi qui prévoyait la disparition de l’IRSN.
Le gouvernement sourd aux mises en garde et protestations
Jusqu’au bout, le gouvernement aura pourtant tenté de pousser son projet visant à supprimer l’IRSN et à transférer ses 1700 experts, ingénieurs et techniciens sous la tutelle du gendarme du nucléaire, l’ASN, via les articles 11bis et 11ter du projet de loi d’accélération nucléaire. Deux articles qui se sont invités par voie d’amendements gouvernementaux il y a quinze jours seulement dans le sillage de l’annonce soudaine de la dissolution de l’IRSN faite par la ministre de la Transition énergétique, Agnès Pannier-Runacher, quelques jours après un conseil de politique nucléaire présidé par Emmanuel Macron à l’Elysée. Objectif de l’exécutif : ne plus voir qu’une seule tête dans la sûreté nucléaire et accélérer ainsi l’obtention des autorisations demandées par EDF pour construire de nouveaux réacteurs EPR, mais aussi réparer et prolonger la durée de vie du parc actuel de 56 réacteurs.
Le gouvernement n’aura écouté ni les avertissements de scientifiques et experts comme Yves Marignac et Cédric Villani, ou de l’ancienne ministre Corinne Lepage, dans les colonnes de Libé notamment. Ni les protestations et manifestations répétées des quelque 1700 ingénieurs et techniciens de l’IRSN concernés. Ni la mise en garde plus feutrée du directeur général actuel de l‘Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN), Jean-Christophe Niel, qui, auditionné le 8 mars en commission par le Sénat, a dit son «inquiétude»devant le projet d’absorption de ses équipes et missions par l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN). Ni évidemment la bronca des parlementaires de gauche, insoumis et écologistes en tête, qui ont dénoncé un «retour en arrière»inquiétant pour la sûreté douze ans seulement après la catastrophe de Fukushima.
Balayant les critiques venues de la communauté scientifique et de l’opposition, la rapporteure du texte, Maud Bregeon, une ancienne d’EDF, avait défendu en amont cette décision du gouvernement en distinguant les «questions légitimes» sur l’IRSN, et les arguments utilisés par les «anti» pour «flinguer la filière» nucléaire par «idéologie». Elle avait plaidé sans fards pour ne plus «avoir le nucléaire honteux». Pour elle, ce texte «va nous permettre d’atteindre la neutralité carbone» tout en garantissant une meilleure souveraineté énergétique.
Mais le fait du prince n’a pas été du goût de tous les députés, y compris à droite et dans les rangs de la majorité macroniste de plus en plus relative. Et pour cause. Cette réforme subite et brutale de l’organisation de la sûreté nucléaire française avait été décrétée il y a tout juste un mois à l’issue d’un conseil de politique nucléaire présidé par Emmanuel Macron. Et le gouvernement était bien décidé à la faire passer dans le texte visant à accélérer les procédures administratives pour construire les six à quatorze nouveaux réacteurs EPR voulus par le chef de l’Etat. Elle aurait abouti à la disparition d’un organisme créé en 2001 pour expertiser les sites nucléaires français en toute indépendance et permettre au gendarme du nucléaire, l’ASN, de rendre des avis en toute connaissance de cause.
Séparation entre expertise et décision
Explication avancée par la ministre de la Transition énergétique pour justifier cette volonté d’en finir avec l’IRSN : la nécessité de «fluidifier les processus d’examen technique et de prise de décision de l’ASN pour répondre au volume croissant d’activités liées à la relance de la filière nucléaire». En clair, permettre à EDF d’obtenir plus vite le feu vert de l’ASN pour ses projets de construction de nouveaux réacteurs ou de poursuite d’exploitation de son parc actuel. Selon Agnès Pannier-Runacher, le projet de loi d’accélération permettra ainsi «de ne pas ajouter un délai de deux à trois années à la construction d’un réacteur». EDF pourra par exemple lancer les travaux de terrassement et de préparation du génie civil sur le site de la centrale de Penly (Seine-Maritime), sans attendre un feu vert de l’ASN. Penly, où les travaux commenceront dès 2024, doit accueillir la première paire de réacteurs EPR d’une puissance de 1650 MW pour une mise en service à l’horizon 2035. Les quatre suivants seront édifiés sur le site de Gravelines (Nord), lui aussi en bord de mer, et sur l’une des centrales du Rhône (Bugey ou Tricastin).
Mais si dans l’esprit du gouvernement la relance du nucléaire est la fin justifiant les moyens, l’excellence de la sûreté à la française s’appuie justement sur la séparation entre l’expertise (l’IRSN) et la décision (l’ASN). Et les députés n’ont pas souhaité déstabiliser ce modèle reconnu dans le monde entier, au moment où EDF vient de confirmer l’existence de nouvelles fissures «non négligeables» sur ses réacteurs les plus récents, à Penly précisément et Cattenom (Moselle). Un nouvel épisode d’une série d’avanies techniques liées à des problèmes de soudures, des phénomènes de «corrosion sous contrainte» ou de «fatigue thermique» qui ont conduit à la mise à l’arrêt de près de la moitié du parc nucléaire français cet hiver. Ce nouveau problème de fissures va contraindre EDF à inspecter tous les réacteurs du palier dit «N4» (1200 à 1400 MW) construits entre le milieu des années 80 et le début des années 90. A l’heure actuelle, 19 des 56 réacteurs d’EDF sont hors service, en maintenance, travaux ou en pleine inspection. L’ASN aura sans aucun doute besoin de l’expertise intacte de l’IRSN pour veiller à ce que toutes les réparations soient faites dans les règles de l’art et de la sûreté.