
ÉMISSION
Après les décisions du Conseil constitutionnel, qui représente quoi ?
Lundi 17 avril 2023 FRANCE CULTURE
Le 14 avril, Elisabeth Borne a salué la « fin du chemin démocratique » de la réforme des retraites. Pendant trois mois, la contestation a mis en lumière les tensions entre différents modes de représentation. Au parlement, dans la rue, à l’Elysée ou chez les Sages : qui représente quoi ?
Avec
- Charles de Courson député (UDI) de la Marne, qui avait lancé, en 2014, une pétition citoyenne pour la transparence des indemnités des députés, également membre de la commission des finances.
- Laurence Kaufmann Sociologue à la faculté des sciences sociales et politiques de l’université de Lausanne
- Anne Levade professeure de droit public à l’université Paris I panthéon-Sorbonne, présidente de l’Association française de droit constitutionnel
Les trois derniers mois ont été l’occasion pour les Françaises et les Français d’une révision des principes constitutionnels mais aussi d’un débat sur la légitimité et la légalité. Sans compter des discussions sur le pouvoir de la rue et de la manifestation face au pouvoir représentatif.
Il a suffit d’ailleurs qu’un leader syndical, Laurent Berger évoque une « crise démocratique » pour enflammer la majorité présidentielle. Pour autant, les projets de réflexion sur les institutions et leur évolution, voulus par le Président de la République dans sa campagne de l’an dernier, semblent repoussés.
Est-ce le signe d’une démocratie à bout de souffle comme le titre un des livres codirige par une de nos invitées, la constitutionnaliste Anne Levade ?
Pour en débattre, Emmanuel Laurentin reçoit Charles de Courson, député centriste, cofondateur du groupe Libertés, indépendants, outre-mer et territoires (Liot) ; Laurence Kaufmann, sociologue, professeure à l’université de Lausanne et chercheuse associée au Centre d’étude des mouvements sociaux (CNRS/EHESS) ; Anne Levade, professeure de droit public à l’université Paris I Panthéon-Sorbonne, présidente de l’Association française de droit constitutionnel.
Une crise de la démocratie représentative
« La crise de la représentation est incontestable » estime Charles de Courson, qui défend un système « plus équilibré » autour d’une dose de proportionnelle. « Quand vous interrogez les Français sur la perception de leurs représentants, c’est dramatique » ajoute-t-il, « on le constate même au niveau des élus locaux ». « Le Président incarne un peuple hyper-transformé, aseptisé, qui laisse sur le bas-côté l’opinion populaire qui serait ignorante » complète Laurence Kaufmann, « et si la représentation est en crise, l’idéal normatif derrière est blessé […] : il est frappant que dans cette séquence il y ait un épuisement de l’argument de l’intérêt général ». Il est le résultat du processus qu’engage la représentation, selon Anne Levade : « la volonté générale ne préexiste pas à la loi, elle se forme dans délibération, chaque représentant renonçant à son individualité ». Elle distingue cette représentativité de sa variante sondagière, qui compile les opinions particulières : « certains rejettent la représentation parce qu’ils n’ont pas l’impression que leurs positions individuelles soient exprimées, c’est contraire à la logique même de la représentation ».
Lire, relire ou changer la Constitution ?
« Autour de la Constitution, nous Français, nous sommes effervescents par nature » s’amuse Anne Levade, en ajoutant que « la Constitution ne suffit pas à faire le bonheur des peuples et des nations ». Elle alerte sur la tentation excessive des révisions : « il y a des choses faisables en dehors de la Constitution, comme les conventions citoyennes » explique-t-elle, « la Constitution, c’est une partition qu’on interprète au gré de la politique avec des manières différentes ». La modération doit s’appliquer à la démocratie participative de la même manière : « elle peut être un enrichissement mais à condition de bien dire qu’elle ne se substitue pas au parlement ».
Charles de Courson est plus sévère et dénonce la pratique du pouvoir du Président : « il a une conception hégélienne de l’exercice du pouvoir : Hegel disait de l’Etat qu’il est l’incarnation de la raison dans l’histoire et quand on part sur ce concept, ça donne tous les régimes autocratiques ». Pour s’en éloigner, il préfère sa lecture Tocquevillienne : « la société doit être construite par sa base, en impliquant le citoyen par ses organisations sociales à l’exercice du pouvoir ».
Par-delà la lettre du texte constitutionnel, Laurence Kaufmann attire l’attention sur la portée émotionnelle de la pratique du pouvoir : « on a l’impression que le Président de la République est du côté de la déraison, de décisions pétries d’affects, froids et sereins, mais qui sont tout autant émotionnels que les cris dans la rue : des péchés d’orgueil qui rendent la pratique du pouvoir très compliquée ».
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Pour aller plus loin
- Laurence Kaufmann a publié un article dans AOC La représentation blessée, et a dirigié l’ouvrage Les émotions collectives, en quête d’un objet impossible, avec Louis Quéré, paru aux éditions de l’EHESS en 2020.
- Anne Levade a codirigé Res Publica et parlement : quelles représentations pour quelles démocraties, contributions issues d’un colloque qui viennent d’être publiées aux éditions Bruylant, le 13 avril 2023.
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L’équipe
Emmanuel LaurentinProduction
- Bruno BaradatProduction déléguée
- Stéphanie VilleneuveCollaboration
- Fanny RichezCollaboration
- Mathias MégyCollaboration
- Laurence MalondaRéalisation
- Paul MarguierStagiaire