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SAINT-BREVIN NOMME UNE « DÉCOMPOSITION ACCÉLÉRÉE DE LA DÉMOCRATIE FRANÇAISE » Luc Rouban, Frédéric Mas

PUBLICATION PRÉCÉDENTE :

LES MAIRES MENACÉS ET AGRESSÉS – « DÉMOCRATIE MALADE ». https://metahodos.fr/2023/05/17/la-demission-du-maire-de-saint-brevin-les-pins-un-symptome-de-notre-democratie-malade/

« La démission du maire de Saint-Brevin, un symptôme des maux de la démocratie française »


TITRE LIBÉRATION 11 mai 2023 ( Paul Quinio ) QUI POURSUIT :

« Dans l’abandon de Yannick Morez, édile de Loire-Atlantique menacé par l’extrême droite, le gouvernement est aussi blâmable puisqu’il a contribué à banaliser l’idéologie xénophobe.

« Tout, dans cette histoire, est insupportable. En France, en mai 2023, un maire, il s’appelle Yannick Morez, s’est retrouvé contraint de démissionner de ses fonctions parce que la mouvance de l’ultra-droite, avec notamment le soutien officiel d’Eric Zemmour, a mené une campagne d’intimidation violente pour contrecarrer le projet d’installation à Saint-Brevin, sa commune de Loire-Atlantique, d’un centre d’accueil pour demandeurs d’asile. Projet d’installation décidé par l’Etat il y a plusieurs années au moment de fermer la «jungle de Calais» afin de mieux répartir l’accueil des réfugiés sur l’ensemble du territoire français. La précision est importante, car le même Etat a manifestement failli pour accompagner le maire de Saint-Brevin dans la mise en place de ce projet.

« Il a surtout été aux abonnés quasi absents, en tout cas très discrets, dans son soutien à l’élu victime de menaces. Car si, jeudi, Emmanuel Macron et Elisabeth Borne ont apporté leur soutien public à Yannick Morez, il arrive trop tard. Que dire de l’inertie du ministre de l’Intérieur et de ses services après les appels à l’aide du maire ? Que dire de l’obsession de Gérald Darmanin à dénoncer le «terrorisme intellectuel» de l’extrême gauche, comparée à son silence face aux violences de l’ultra-droite ? Que dire de sa propension à instrumentaliser, avec le soutien du chef de l’Etat, les thématiques chères à l’extrême droite, l’immigration en tête ? Que dire de l’amalgame assumé au plus haut niveau de l’Etat entre les militants d’extrême gauche – dont certaines pratiques violentes méritent parfois d’être dénoncées – et les nervis de mouvements ouvertement néofascistes ?null

LES MESURES GOUVERNEMENTALES ANNONCÉES

Entre 2021 et 2022, les violences contre les élus ont augmenté de 32%. Pourtant, les auteurs de violences contre des édiles s’exposent à trois ans de prison et 75.000 euros d’amende. Des sanctions que le gouvernement veut alourdir, pour aligner les peines sur celles encourues pour des atteintes contre des policiers, des gendarmes ou des pompiers. Les auteurs de violences pourraient ainsi s’exposer à des sanctions allant jusqu’à 7 ans d’emprisonnement et 100.000 euros d’amende (pour plus de 8 jours d’ITT).

Enfin, le dispositif « alarme élus » sera également renforcé : il permet aux élus de se faire enregistrer dans un fichier qui déclenche, en cas d’appel à la police, « une intervention encore plus rapide des forces de sécurité », et qui permet des patrouilles près de son domicile et de la mairie.

Le problème fondamental est celui d’un sentiment général négatif des Français sur le fonctionnement démocratique, les élus et les décideurs

Certes des mesures doivent être prises dans le contexte présent mais le problème fondamental est celui d’un sentiment général négatif des Français sur le fonctionnement démocratique et les élus et décideurs.

Le discrédit sur les élus épargnait les maires. Aujourd’hui – vis à vis des élus en général – le manque de respect et, pire les agressions et contestations, doivent nous inviter notamment ( VOIR LES PROPOSITIONS DE METAHODOS) :

– à reconsidérer leur statut ( limiter drastiquement le cumul de postes et d’indemnités, par exemple )

– à mettre une forte dose de concertation, de dialogue et de participation dans le procès de la décision publique

– a créer un régime de responsabilité

( le statut des fonctionnaires doit dans le même mouvement être revu : incompatibilités entre le statut et les fonctions électives ou d’exécutif , régime de responsabilité….)

NOUS VOUS PROPOSONS UN ENTRETIEN QUI TRAITE DES QUESTIONS DÉMOCRATIQUES ET UN ARTICLE PRÉSENTANT LES MESURES TECHNIQUES DE L’EXÉCUTIF.

1. ENTRETIEN

Saint-Brévin ou la décomposition accélérée de la démocratie française (et les coupables sont TRÈS nombreux)

avec Frédéric Mas et Luc Rouban

Alors que le maire de Saint-Brévin jette l’éponge après avoir été harcelé en raison de la construction d’un centre de migrants, le danger venu de l’extrême-droite se fait plus visible. Mais que dire de la responsabilité de ceux qui revendiquent le droit à l’insurrection ou à la désobéissance civile ou de ceux qui se drapent dans la légitimité de leur élection ou de leur expertise supposée pour mieux ignorer la volonté populaire ?

Frédéric Mas est journaliste à la rédaction de Contrepoints.org. Après des études de droit et de sciences politiques, il a obtenu un doctorat en philosophie politique (Sorbonne-Universités).

Luc Rouban est directeur de recherches au CNRS et travaille au Cevipof depuis 1996 et à Sciences Po depuis 1987.Il est l’auteur de La fonction publique en débat (Documentation française, 2014), Quel avenir pour la fonction publique ? (Documentation française, 2017), La démocratie représentative est-elle en crise ? (Documentation française, 2018) et Le paradoxe du macronisme (Les Presses de Sciences po, 2018) et La matière noire de la démocratie (Les Presses de Sciences Po, 2019), « Quel avenir pour les maires ? » à la Documentation française (2020). Il a publié en 2022 Les raisons de la défiance aux Presses de Sciences Po. Voir la bio »SUIVRE

Atlantico :Alors que le maire de Saint-Brévin jette l’éponge après avoir été harcelé en raison de la construction d’un centre de migrants, le danger venu de l’extrême-droite se fait plus visible. Quelle est la responsabilité de l’extrême droite dans la décomposition de la démocratie française ? Et notamment, mais pas seulement, en raison de son obsession migratoire ?

Frédéric Mas : Il est évident que chaque formation politique a un intérêt certain à exploiter les aspects anxiogènes de l’immigration à des fins politiques. Par conséquent, il est indéniable que chacun porte une part de responsabilité dans ce domaine. En exagérant et en se concentrant exclusivement sur les aspects négatifs de l’immigration et sur les tensions sociales et politiques qu’elle engendre, ces formations peuvent créer des divisions au sein de la société. Je tiens à souligner qu’il ne s’agit pas uniquement du monopole de l’extrême droite, car cette rhétorique se retrouve également dans le discours courant, y compris au sein des partis de centre autoritaire. Il est donc important de noter cette volonté et cette instrumentalisation de la question de l’immigration comme un outil politique, alimentant la peur et suscitant l’angoisse, dans le but évident de gains électoraux. Ainsi, une part de responsabilité leur incombe. 

Cependant, il convient également de prendre en considération un autre élément : la montée indéniable de l’extrême droite en France n’est pas simplement un symptôme, mais aussi une conséquence réelle de l’absence de réponses sérieuses à la question de l’immigration depuis plus de 40 ans. De plus, le discours commun des formations politiques, y compris celles de tendance extrême-droite, a largement contribué à la forte demande de mesures politiques autoritaires dans ce domaine.

À LIRE AUSSIPetit bilan des libertés publiques pendant un quinquennat Macron percuté par des crises exceptionnelles

Luc Rouban : La décomposition non pas de la démocratie française mais du tissu politique français est déjà bien avancée. Dans ce contexte, la relation non seulement avec les élus mais également avec les fonctionnaires s’est dégradée à la fois par la perte du lien de confiance mais également par la disparition du respect dû à l’autorité publique. Les maires de petites communes se font agresser verbalement et même physiquement de plus en plus souvent. Mais il en est de même des enseignants, des personnels hospitaliers ou des policiers. L’affaire de Saint-Brévin relie cette violence à la contestation par l’extrême-droite de la mise en place d’un centre d’accueil pour migrants. L’extrême-droite, historiquement, a toujours été marquée par le recours à des procédés violents. Donc je dirais que celle-ci, bien qu’à la recherche d’une certaine notabilisation au sommet et notamment à l’Assemblée nationale, est restée fidèle à elle-même à la base. L’extrême-droite n’est pas à l’origine de cette décomposition mais elle en profite, quitte à retourner à ses vieux démons.

Au-delà de la question migratoire, même si elle occupe une place prépondérante, quels sont, selon vous, les rôles néfastes de l’extrême droite sur la démocratie ?

Frédéric Mas : Il convient d’abord de clarifier ce que l’on entend par « extrême droite ». Ce terme englobe un large éventail, allant des groupuscules marginaux violents jusqu’aux formations politiques institutionnellement reconnues. Généralement, on inclut dans cette catégorie l’extrême droite composée de formations néonazies, toxiques et marquées par la violence, ainsi que des partis comme le Rassemblement national, qui représente une formation national-populiste, selon l’expression de Pierre-André Taguieff. Il est important de faire une distinction entre ces deux catégories. Les groupuscules violents de l’extrême droite sont marginaux et résiduels, et ils représentent un danger, comme tout groupe qui prétend intervenir dans le débat public par la violence et chercher à renverser violemment le régime ou à attaquer les institutions. 

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En revanche, les formations politiques reconnues qui respectent les règles de la démocratie, comme le Rassemblement national, ont une position différente. Elles participent au débat public en respectant les principes démocratiques, même si leurs idées et leurs combats peuvent être controversés. Elles respectent les institutions démocratiques et s’inscrivent dans le cadre du jeu politique démocratique. Bien sûr, il existe une différence culturelle entre ces formations et les autres, et cette différence peut évoluer avec le temps. Le Rassemblement national d’aujourd’hui n’est pas le Front national d’origine. Il est important de prendre en compte le chemin parcouru depuis la naissance du Rassemblement national. De nombreux événements se sont produits depuis lors.

Il est souvent facile de pointer du doigt l’extrême droite, mais quel est, à l’opposé de l’échiquier politique, la responsabilité de l’extrême gauche, notamment lorsqu’elle revendique une forme de droit à l’insurrection au nom de sa vérité ?

Frédéric Mas : En effet, il est facile de mettre en avant les cas de violence de l’extrême droite devant les médias. Cependant, il s’agit d’un phénomène plus général, qui concerne la brutalisation des relations sociales et politiques dans notre pays. La violence en politique et les aspirations à des solutions radicales sont malheureusement partagées par l’ensemble du spectre politique. Comme vous l’avez souligné, l’utilisation de la violence et de l’intimidation est également une caractéristique de l’ultra-gauche. Nous l’avons encore vu lors des manifestations contre les réformes des retraites, avec des actes de vandalisme, des affrontements violents avec les forces de l’ordre et des intimidations envers les élus. Ces pratiques se répètent systématiquement dans les manifestations politiques, quel que soit le camp concerné.À LIRE AUSSILa démocratie représentative prise au piège du happening permanent

Par ailleurs, c’est toujours intéressant d’écouter les interventions de Mélenchon et de constater que, dans leur stratégie politique et électorale, ils ont clairement exprimé leur ambition de tout politiser et de créer des conflits pour exister politiquement. Leur objectif est d’introduire de la dissension partout, de polariser les débats et de cultiver une approche politiquement insurrectionnelle. Cette approche va à l’encontre de l’esprit démocratique qui suppose normalement des discussions rationnelles entre différents groupes d’intérêts et concurrents. Cette tactique dissout complètement ces principes et normalise la violence comme pratique courante pour accéder au pouvoir et réaliser leurs ambitions. 

Il est important de noter que cette brutalisation ne se limite pas à l’extrême gauche. On pourrait également interroger la responsabilité du centrisme autoritaire de la Macronie dans ce phénomène. Le pouvoir technocratique, de manière autoritaire, impose certaines réformes et n’hésite pas à hystériser le débat en utilisant des lignes de fracture et en désignant des coupables. Cette attitude contribue à la brutalisation des rapports politiques. Il est intéressant de souligner l’hypocrisie de certaines déclarations publiques du président Macron, car il porte également une part de responsabilité dans cette situation de brutalisation des rapports politiques actuels.

Luc Rouban : L’extrême-gauche ou plutôt la gauche radicalisée de LFI a développé un argumentaire contre la Ve République qu’elle juge trop présidentialiste et en faveur d’une évolution des institutions vers davantage de démocratie directe. La contestation de la démocratie représentative est tout aussi forte du côté de la gauche radicale que de l’extrême-droite. Qui dit mise en cause de la représentation dit également mise en cause des élus. Dans la dernière vague du Baromètre de la confiance politique du Cevipof, on voit ainsi que les trois-quarts des enquêtés ayant voté pour Jean-Luc Mélenchon comme les trois quarts des enquêtés ayant voté pour Marine Le Pen au premier tour de l’élection présidentielle de 2022 estiment que les responsables politiques sont déconnectés de la réalité et ne servent que leurs propres intérêts. Les provocations des députés LFI à l’Assemblée nationale lors du débat sur la réforme des retraites ont contribué de plus à disqualifier le travail politique ordinaire des représentants. C’est une fuite en avant dans le rejet de la représentation qui a d’ailleurs été condamnée aussi bien par des élus PS que PCF qui ont bien vu le danger de lancer un processus de dégradation du vote comme de la représentation, ce qui ne peut que nourrir des groupes encore plus radicalisés qui jouent la politique du chaos.

Un sondage a révélé que ce sont principalement les partisans de La France insoumise (LFI) et du Rassemblement national qui étaient les plus enclins à justifier le recours à la violence pour atteindre leurs objectifs. Selon vous, est-ce un symptôme inquiétant ?

Frédéric Mas : Pour moi, cela reflète essentiellement la frustration ressentie par une partie de la population et des classes populaires qui se sentent ignorées par le pouvoir central autoritaire imposant ses lois sans tenir compte de leurs préoccupations. Cette frustration conduit à chercher des moyens de se faire entendre dans l’espace public, et certains n’hésitent pas à recourir à la violence. Par exemple, lors des manifestations contre la réforme des retraites, on a pu observer un caractère violent et quasi insurrectionnel. Bien que la réforme en elle-même soit contestée, elle a cristallisé la colère populaire face à un sentiment de marginalisation et d’invisibilité dans le paysage politique et médiatique qui donne l’impression d’être cartellisé par Emmanuel Macron. 

Luc Rouban : C’est caractéristique d’électorats que l’on qualifie ordinairement de populistes bien que le néo-populisme d’aujourd’hui n’est plus le populisme d’hier sur au moins deux points : il n’existe plus comme dans l’entre-deux guerres la recherche d’un leader tout-puissant, on est plutôt dans la recherche d’une emprise immédiate des citoyens sur l’action publique ; et les projets ne visent pas à supprimer les libertés publiques, les syndicats ou les entreprises, mais à organiser une révolution sociale en écartant les élites au pouvoir accusées de sacrifier la souveraineté nationale sur l’autel de la mondialisation, capitalistique ou migratoire. Le recours à la violence est cependant considéré toujours comme légitime puisqu’il s’agit de s’opposer à un « système » oligarchique puissant accusé de détourner l’État de droit à son profit et donc de verrouiller toute évolution politique réel qui pourrait mettre fin à ses privilèges.

Est-ce que cela ne provient pas également du fait qu’une partie de la population a le sentiment que c’est par la violence qu’on obtient des résultats, non seulement à l’époque de Macron, mais de manière plus générale ?

Frédéric Mas : Oui, je pense que c’est le cas. Il y a deux aspects à considérer. D’abord, il y a une dynamique de longue date en France où les groupes d’intérêts qui parviennent à imposer leurs points de vue sont souvent les plus violents, ceux qui défient l’État et l’obligent à négocier avec eux. C’est une mécanique qui favorise la violence et la surenchère constante pour se faire entendre sur la scène politique face à l’état bureaucratique. Ensuite, il y a une dynamique plus récente qui peut remonter à l’époque de Nicolas Sarkozy, mais qui s’est surtout cristallisée sous le mandat de Macron. Les pouvoirs publics n’ont pas donné l’exemple en utilisant régulièrement la violence policière pour imposer leurs décisions, que ce soit pendant la crise sanitaire ou lors des manifestations pacifiques contre les retraites. Il y a donc un rapport de force qui s’instaure, où l’État estime légitime de répondre de manière autoritaire, y compris face à des manifestations pacifiques.

Dans ce contexte, il est facile pour la mouvance centriste et centrale, de se présenter comme le rempart contre les dangereux extrêmes. Mais quelle est la responsabilité de ce camp et en particulier du « cercle de la raison » dans ce délitement démocratique ?

Frédéric Mas : Je pense qu’ils portent une forte responsabilité dans la brutalisation des rapports politiques en raison du pouvoir technocratique qui ne s’adresse pas de la même manière qu’en démocratie, où le gouvernement et les gouvernés sont considérés comme égaux. Il existe donc des responsabilités mutuelles entre les deux parties, mais dans la technocratie, il y a une relation hiérarchique. D’un côté, nous avons la direction, les technocrates, et de l’autre, les exécutants, c’est-à-dire le reste de la population. Le rôle des exécutants consiste à accepter les directives de la direction, sans nécessité de les convaincre ou de les discuter de manière démocratique. Il s’agit simplement de communiquer et d’expliquer les consignes établies par la technocratie. Si cela ne fonctionne pas, cela peut justifier une intervention plus brutale de l’Etat.

Luc Rouban : Il est clair que le clivage gauche-droite est loin d’avoir disparu chez les électeurs même si ceux-ci s’en défendent. Il suffit de voir à quel point les positions divergent sur les questions d’immigration, d’aides sociales ou de fiscalité. Cela étant, le macronisme, en prônant le dépassement de ce clivage s’est trouvé lui-même piégé par l’absence d’idéologie de référence. Sa seule référence est devenue l’efficacité managériale sur le mode de l’entreprise privée. En fait, le macronisme en diluant la frontière entre public et privé est lui-même l’artisan voire l’accélérateur de cette décomposition. Car en l’absence de projet idéologique du long terme, et donc d’une grille de lecture cohérente, il semble agir au cas par cas pour résoudre les problèmes les uns après les autres et parfois au détriment de la cohérence entre les discours et les actes. Mais si l’efficacité n’est pas au rendez-vous, le pouvoir semble alors agir de manière arbitraire, sans raison d’être outre le fait qu’il a gagné les élections. Là est la faiblesse du macronisme qui ouvre la voie à une contestation de fond de sa légitimité sociale voire électorale et donc la porte à des actions violentes qui cherchent elles-mêmes à revendiquer l’efficacité.

Qui sont les responsables des restrictions successives du champ de la souveraineté populaire qui a aussi mené à la situation actuelle ?

Frédéric Mas : On constate en effet de plus en plus de restrictions de la souveraineté populaire, principalement pour des raisons technocratiques. On considère que la meilleure façon de gouverner est celle des experts, et au cours des dernières décennies, nous avons assisté à une évolution significative dans ce sens. Il y a plusieurs raisons à cela. Tout d’abord, il y a eu l’alignement sur l’Union européenne, ce qui a conduit à une perte de souveraineté. Ensuite, une classe technocratique s’est développée, gagnant en compétence même à l’échelle continentale. De plus, la succession d’états d’exception, du terrorisme à la crise sanitaire récente, a progressivement renié ce qui restait de la souveraineté populaire, transférant de plus en plus de compétences aux administrations au nom de l’efficacité de l’action publique. Cela a entraîné une forme de déconsidération et de dépossession des citoyens, considérés comme incompétents, simples usagers du service public, voire comme des dangers. On observe réellement un changement d’attitude entre gouvernants et gouvernés au cours de ces dernières années. Avec la bureaucratisation et la technicisation croissante de l’action publique, le citoyen est perçu comme un élément incontrôlable et irrationnel, nécessitant d’être contenu et surveillé. Cela se traduit par un détournement des institutions publiques, réduisant le rôle du suffrage universel dans la désignation des gouvernants. On peut citer le refus pur et simple du résultat du référendum de 2005 à titre d’exemple. De plus, toute action populaire est systématiquement accusée de populisme, ce qui dévalorise et criminalise tout ce qui est associé à l’aspect populaire en politique.

Luc Rouban : Les sociétés développées modernes reposent sur des réseaux élitaires plus ou moins intégrés qui ont pris en main l’organisation de l’avenir politique au-delà du cadre national, ce qui peut se comprendre dans les termes de l’efficacité économique voire militaire, mais ce qui détruit la mythologie républicaine dans un pays comme la France où l’image du « peuple souverain » est au cœur de la mémoire collective. Mais la situation est plus complexe encore car il ne suffit pas de désigner des responsables, les élites, les oligarchies, les super-riches ou les technocrates. Une autre question, en effet, est celle de la complexité à la fois juridique, scientifique et technologique de nombre de sujets, comme la santé, l’environnement, la défense, etc. autant de sujets que l’on ne peut pas régler par des référendums dans les termes d’une question « oui ou non » car la portée de ces décisions est conditionnée par leur mise en œuvre : on est donc pas dans le « oui » ou le « non » mais plutôt dans le « c’est possible à condition que et dans telle limite ». C’est pourquoi on n’est pas prêt de sortir de la crise politique de fond que l’on vit actuellement car les électeurs LFI ou RN sont avant tout des nostalgiques d’un passé qui ne reviendra pas.

A quel point y a-t-il des tendances plus profondes, historiques ?

Frédéric Mas : Alors, en France, je pense que la France est, comme le disait Jacques Marseille, un pays de guerre civile. Depuis longtemps, la nation s’est construite autour d’un État fort et puissant, avec une dynamique autoritaire qui perdure depuis des siècles. On peut remonter très loin si on le souhaite, mais je me limiterai à la période napoléonienne et à la montée en puissance de l’exécutif au 20e siècle, notamment après les deux guerres mondiales. Cela a marqué l’empreinte d’une opposition constante entre un peuple tenté par l’insurrection et l’insubordination d’un côté, et une répression autoritaire de l’autre. Cette dynamique fait partie intégrante de l’histoire de la France, et il est très difficile d’en sortir. En effet, c’est le véritable défi de la démocratie libérale : parvenir à pacifier les sentiments négatifs du peuple tout en rendant l’État responsable et évitant qu’il n’abuse de son pouvoir au nom du maintien de l’ordre, ce qui peut parfois conduire à une répression excessive.

A Saint-Brévin, les violences sont nées, entre autres, de la volonté de construire un centre pour migrants. La question de l’immigration est particulièrement épineuse. A quel point les gouvernants ont laissé se développer un climat délétère sur ce sujet, notamment en raison d’un fort déni en la matière ?

Frédéric Mas : En réalité, malheureusement, depuis le début des années 80, l’immigration est devenue un sujet tabou par excellence. Cela est dû en partie à l’association systématique avec l’extrême droite, notamment le Front National et Jean-Marie Le Pen à l’époque. En sanctuarisant ces questions et en les reléguant comme relevant intrinsèquement de l’extrême droite, la gauche a utilisé ces thèmes pour accuser constamment la droite de dérive vers le fascisme ou l’extrême droite. En conséquence, la droite au pouvoir s’est empressée de ne pas prendre position ou de prendre des positions peu significatives pour éviter de tomber dans le piège tendu par la gauche et d’être accusée de droitisation ou de surenchère vers l’extrême droite.

Luc Rouban : La question de l’immigration est devenue de plus en plus importante car elle s’articule avec la question du réchauffement climatique mais aussi de l’islamisme et des stratégies d’États qui se servent de l’émigration comme moyen de lutte ou de pression politique sans même parler de l’usage qui peut être fait par le capitalisme financier d’une main d’œuvre précaire, vulnérable et sous-payée. Face à cela, la France a été incapable de clarifier sa politique du long terme et de simplifier ses règles juridiques en la matière, ce qui aboutit à une situation confuse où l’État apparaît faible et dépourvu de cohérence ou de moyens d’actions. L’affaire de l’Ocean Viking a été à ce titre catastrophique. Mais si l’État est faible, cela engendre la peur et le sentiment d’une vulnérabilité croissante de la part de populations déjà affaiblies sur le plan économique.

2. ARTICLE

Violences contre les élus : ce que contient le plan annoncé par la ministre chargée des Collectivités territoriales Dominique Faure

Dominique Faure veut « arrêter cette spirale infernale de la violence faite aux élus dans notre République ». La ministre a présenté les principales mesures de son plan de lutte.

Radio France Publié le 17/05/2023

La ministre déléguée chargée des Collectivités territoriales, Dominique Faure, a présenté mercredi 17 mai, un plan de lutte contre les violences faites aux élus, dont les principales mesures ont été communiquées à franceinfo par l’entourage de la ministre, plus d’une semaine après la démission de Yannick Morez, maire de Saint-Brevin-les-Pins (Loire-Atlantique).

Création d’un « pack sécurité »

Le gouvernement veut notamment créer un « pack sécurité » avec plus de 3 400 référents « atteintes aux élus » dans les commissariats et les gendarmeries à travers la France. Ces référents seront les interlocuteurs privilégiés des élus et prendront leurs plaintes si nécessaire. Ces dépôts de plaintes pourront d’ailleurs être réalisés directement chez les élus ou en mairie. 

Renforcer le dispositif « alarme élu »

Parmi les autres mesures, le gouvernement souhaite renforcer le dispositif « alarme élu ». Chaque élu pourra se signaler s’il se sent en danger ou fait face à une situation à risque. En cas d’appel au 17, la demande sera jugée prioritaire, ce qui pourra entraîner un renforcement des patrouilles des forces de l’ordre au domicile de l’élu ou à sa mairie. 

Un « centre d’analyse et de lutte contre les atteintes aux élus »

Le gouvernement met également en avant la création, ce mercredi, du « centre d’analyse et de lutte contre les atteintes aux élus », dont franceinfo s’était fait l’écho le 11 mai dernier. Ce centre permettra de mettre sur pied une « base de données » et une cartographie des violences contre les élus. L’entourage de la ministre des Collectivités territoriales promet aussi une mobilisation renforcée de la plateforme Pharos afin de détecter plus rapidement des contenus haineux en ligne. 

Durcir les sanctions pénales

Enfin, le gouvernement anticipe un futur texte de loi sur la répression de ces violences contre les élus, qui sera présenté d’ici l’automne au Parlement. Ce texte renforcera les sanctions pénales contre les auteurs de violences. Les peines seront les mêmes qu’en cas d’agressions des forces de l’ordre. L’entourage de la ministre souhaite que ce texte soit examiné d’ici l’automne au Parlement.

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