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Vivre en poíēsis – Sur les mots de Frederico Garcia Lorca : « je suis le partisan des pauvres, de ceux qui n’ont rien et à qui on refuse jusqu’à la tranquillité de ceux qui n’ont rien »

Nouvel article de Pierre Rideau dans la rubrique Vivre en poíēsis

Voici ce qu’il nout dit « sur Lorca, comme pour Anna Akhmatova, ni une analyse ni une étude dont je serais bien incapable, juste quelques lignes sur un poète dont l’écriture me plaît infiniment avec ses fulgurances ( ses collisions flamboyantes ?) et dont la vie me touche car il n’avait rien à voir avec les affaires humaines qui l’ont broyé. Il n’était de passage sur Terre que pour parler  à tous de choses graves et légères, pour nous amener à voir un peu différemment les choses, sous des couleurs inhabituelles, dans des associations étonnantes en elles-mêmes et aussi parce qu’elles trouvent immédiatement des résonnances en nous…On se découvre si proches« 

ARTICLE DE PIERRE RIDEAU

19 août 1936 à Grenade, et cette déclaration d’un fossoyeur qui additionne, jour après jour, les corps des fusillés jetés à la fosse commune. Il y en aura cinq mille, mais « aujourd’hui, deux toreros et un homme avec une jambe de bois, un autre avec une cravate comme en portent les artistes »

« Un autre » qui s’appelait Frederico Garcia Lorca.

Né le 5 juin 1899 ou 98, superstitieux, il cache sa date de naissance, il dit qu’il est un peu gitan, un peu maure, mais surtout, « soy hombre del mundo y hermano de todos », je suis un homme dans le monde et le frère de tous. Il grandit dans la ferme de ses parents, dans la campagne andalouse, et il parle aux grillons et aux fourmis, peut-être même à un brin d’herbe.

« L’Andalousie est un pays incroyable, un orient sans venin, un occident sans venin »

Un pays de couleurs, où les abeilles sont en or et où les fleuves ont une barbe grenat,

où le vent se change en vieillard d’émeraude pour poursuivre et enlacer les jeunes filles par la taille, pays de légendes forgées au temps des Maures et de la reconquête, pays où un gitan « basané tel lune verte » n’a qu’à jeter des citrons dans la rivière pour en faireune coulée d’or.

Un pays qu’il chantera dans le Romancero (1928) où l’enthousiasme et la ferveur populaire se souviennent des chevaliers captifs, des gentes dames, des cavaliers, et des tours et des couteaux sous la lune.

Il les connaît ces légendes, et comme il est très bon musicien et chanteur – la musique est sa vraie passion- il parcourt l’Andalousie et enregistre les ballades populaires, le folklore et les chansons du peuple des campagnes héritier de lointaines mémoires chrétiennes et musulmanes. Il s’empare des romans populaires pour en faire de grandes créations poétiques.

Aimé du peuple et des élites, il réussit « l’alliance de l’érudition la plus savante et de la veine populaire » (Michel del Castillo).

Loin des influences françaises très fortes en Espagne avec Valery,  Apollinaire et les surréalistes, différent aussi de ses amis de « la génération de 27 », réunis par le tricentenaire de la mort du poète andalou Luis de Gongorra, les Alberti, Prados, Salinas… qui écrivent des hymnes à la vie, à l’amour, aux éblouissements et aux joies de la plénitude, Lorca veut composer sans aucune trace étrangère, comme Lope de Vega, dans un style opposé au sévère désert castillan .

Il est poète et il veut faire « une poésie à s’ouvrir les veines »

Dans « la monja gitana », il nous montre une nonne penchée sur son ouvrage de broderie. Malgré les images fantastiques de son imagination ardente, elle « se soumet à l’humble travail artisanal de la main qui matérialise l’ouvrage ainsi la création poétique avec les mots » (Elisabeth Delrue).

Ainsi Lorca peut-il dire « s’il est vrai que je suis poète par la grâce de dieu, il est vrai aussi que je le suis par la grâce de la technique et de l’effort ». Lorca, penché sur son ouvrage…

Il est infiniment espagnol et andalou, ses personnages sont la nonne, le gendarme, le torero et le gitan, ses paysages sont l’eau, la roche et le bois des oliviers, mais aussi

el dolor, el miedo, la noche la douleur la peur la nuit et dans le Canto Jondo écrit en 1921, la pena, le malheur collectif universel, univers de poignards, de cloches pour signaler le malheur qui vient et de lanternes pour l’éclairer.

Son œuvre théâtrale montre le poids de la tradition de la fatalité où soumission et révolte sont inutiles. Elle montre « la couronne d’épines » que portent les femmes et les hommes qui s’écartent d’un ordre qui les détruit ou muselle sous couvert de les protéger.

Mais Lorca n’est pas que le poète des gitans et de l’Andalousie et il n’est pas plus le porte-parole de l’Espagne républicaine. Même s’il soutient les Républicains, avec sincérité

« je suis le partisan des pauvres, de ceux qui n’ont rien et à qui on refuse jusqu’à la tranquilité de ceux qui n’ont rien »

contre les nationalistes « je méprise celui qui se sacrifie à une abstraction nationaliste pour n’aimer son pays qu’avec un bandeau sur les yeux »…soy hermano de todos… Il est d’une naïveté enfantine en politique.

Quand il sillone les campagnes avec sa troupe ambulante la Baracca composée de grands noms du théâtre, professeurs et scientifiques, c’est pour porter la connaissance et la culture dans les coins les plus reculés de l’Espagne et non dans le cadre d’une action « militante ».

Il n’est pas non plus qu’un faiseur de vers avec ces magnifiques fulgurances que Lautréamont appelle les collisions flamboyantes. Ainsidans les Noces de sang « je n’ai pas trompé mon fiancé mais le bras de l’autre m’a enlevée comme un coup de mer » ou à Dali , « ta palette dont l’aile est trouée d’un coup de feu » ou encore, si la mer « sourit au loin dents d’écume et lèvres de ciel » , le ciel est de mulets blancs et la lune à des seins durs de satin.

Parmi tant d’autres…

Il est autre et ailleurs, « sa personne était magique et brune » disait Pablo Neruda.

Mais de quelle « peine de source cachée et d’aurore lointaine » parlait Lorca ?

D’où venait cette obsession de la mort « quand je mourrai entre les oranges et la menthe », de la mortviolente « j’aurai cette nuit les joies rouges de sang » omniprésente dans son œuvre.

Dali évoque son ami poète « frémissant de mille feux obscurs et souterrains ».

Alfredo la Guardia ajoute : « nous avons tous connu Lorca débordant de vitalité, optimiste et souriant mais nous sommes nombreux aussi à avoir surpris le nuage sombre venu peut-être de la tristesse ancestrale ou de la tragédie future qui pesait sur son front lui éteignait les yeux, lui fermait la bouche ».

En 1935, dévasté par la mort d’ Ignacio Sanchez Mejias, qu’il aimait tant, dans les arènes de Manzanares, « ses yeux ne se fermèrent pas quand il vit s’approcher les cornes, cependant les mères levèrent aussitôt la tête » il écrit, car seule la poésie fait face à l’oubli irrémédiable et parce qu’il faut résister à la mort et à l’engourdissement par le langage, un texte poignant et il conclut

« il tardera beaucoup à naître, s’il peut naître, un Andalou si clair, si riche d’aventure, je chante sa noblesse avec des mots qui pleurent et songe au triste vent dans les oliviers »

Ce poème est celui de sa propre mort dirait-on. Quelques mois plus tard…Dénoncé par un ancien typographe et futur député des Cortes, Lorca a été arrêté. L’Argentine l’attendait mais un amour l’a fait rester en Espagne et une promesse l’a fait revenir à Grenade.

De Falla, cloitré, écoute le grincement des essieux des camions, emportant vers la mort professeurs, avocats, médecins, syndicalistes. Le vieil homme va dans les locaux de la Phalange, supplie, on lui répond : « c’est fini don Manuel ».

Lorca qui avait écrit :

« je désire dormir du sommeil des pommes

me retirer du tumulte des cimetières »

a été exécuté près d’un ravin à Iznar avec un institueur et deux toreros, et son ami Reverdy aurait pu lui dédier ce qu’il écrivit pour Apollinaire :

« il fait noir, on mêle le soleil à la terre et si nous étions autre chose que des hommes nous n’aurions plus qu’à replier nos ailes pour prier »

Si jamais il fallait dire l’insupportable absurdité d’une période ou s’il fallait dire la fine membrane entre le chaos violent de l’ignorance et la fragilité de la quête, on pourrait redire « et un autre avec une cravate comme en portent les artistes ».

Pierre RIDEAU

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