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Enquête devant la Cour de Justice de la République visant le garde des Sceaux

BILLET

Le procureur en grande tenue blanche et rouge

François Molins, habillé en grande tenue blanche et rouge des magistrats de la cour de Cassation, procureur général près la Cour de cassation, s’est retrouvé , il y a deux jours, face à son ministre de la Justice, Eric Dupond-Moretti., alors qu’il a déclenché une enquête devant la Cour de Justice de la République visant le garde des Sceaux.

La semaine précédente, François Molins a, en effet, annoncé qu’il saisissait la Cour de Justice de la République (CJR) d’une enquête pour « prises illégales d’intérêt » visant l’actuel garde des Sceaux. Alors forcément, le discours du procureur général, face à celui qu’il a décidé de poursuivre, était très attendu.

« La justice est ainsi de plus en plus contestée, brocardée, au risque de dresser la société contre les juges », commence le haut magistrat. François Molins dénonce d’entrée les « attaques » de ces derniers mois ce ceux qui ont agité « le spectre d’un gouvernement des juges ».

« Ces attaques sapent la confiance de la société dans la Justice, blessent la République et déstabilisent la démocratie alors que notre société n’a jamais eu autant besoin de transparence et de confiance dans ses institutions et tout particulièrement dans sa justice », grince le procureur général.

« Le juge ne peut se substituer au politique et le politique ne peut s’immiscer dans l’office du juge », ajoute-t-il. Un avertissement clair à ceux qui ont dénoncé ce week-end l’enquête contre le garde des Sceaux, mais aussi en direction de ceux qui ont critiqué celles visant Jean Castex, Édouard Philippe, Olivier Véran, Agnès Buzyn dans leur gestion de la crise du Covid.

Le dossier est du ressort de la commission d‘instruction de la CJR, composée de trois magistrats, qui est est saisie d’une enquête pour « prise illégale d’intérêt » visant l’actuel ministre de la Justice pour des faits commis dans l’exercice de ses fonctions.

Nos publications antérieures

« Pétrole contre nourriture »: Eric DUPOND-MORETTI https://metahodos.fr/2020/11/13/petrole-contre-nourriture-eric-dupond-moretti/

Crise au sommet de l’Etat: L’Autorité Judiciaire interpelle l’Exécutif via les médias https://metahodos.fr/2020/10/01/crise-au-sommet-de-letat-lautorite-judiciaire-interpelle-lexecutif-via-les-medias/

Eric de MONGOLFIER appelle les magistrats à protester contre Eric DUPOND-MORETTI: « Un des dangers pour la démocratie aujourd’hui, c’est le comportement des politiques » https://metahodos.fr/2020/09/24/eric-de-montgolfier-appelle-les-magistrats-a-protester-contre-le-garde-des-sceaux-un-des-dangers-pour-la-democratie-aujourdhui-cest-le-comportement-des-politiques/

Didier Migaud à Eric Dupond-Moretti: «La transparence, ce n’est pas du voyeurisme, c’est utile» https://metahodos.fr/2020/08/06/didier-migaud-a-eric-dupond-moretti-la-transparence-ce-nest-pas-du-voyeurisme-cest-utile/

Deux affaires judiciaires

L’affaire repose sur une première plainte de l’association anti-corruption Anticor, et d’une deuxième, déposée conjointement par des deux principaux syndicats de magistrats, l’USM et le SM. Les deux plaintes accusent Dupond-Moretti, ès qualités de ministre, d’avoir lancé des poursuites disciplinaires contre des juges dans des affaires où il était de parti pris. « En tant que ministre, il a exercé ses prérogatives pour mettre en mouvement des actions punitives… dans des dossiers où auparavant, en tant qu’avocat, il avait voulu faire punir ces mêmes juges », dénoncent les deux syndicats.

Si la commission, après examen des pièces, devait décider de mettre en examen l’actuel garde des Sceaux, cela pourrait signer son départ immédiat du gouvernement, en vertu de la règle selon laquelle « un ministre mis en examen démissionne »

Le premier volet du dossier concerne l’affaire « Bismuth » qui s’est soldée par le procès Sarkozy fin 2020. En juin dernier, en tant qu’avocat, Éric Dupond-Moretti avait déposé plainte contre le parquet national financier, estimant que ses factures de téléphone avaient été indûment vérifiées dans le cadre de la recherche d’une taupe de Nicolas Sarkozy. Devenu ministre, et après avoir retiré sa plainte, il a ordonné des poursuites disciplinaires contre trois procureurs du PNF, à la suite d’un rapport de l’inspection commandé par Nicole Belloubet aux conclusions pourtant nuancées. Aurait-il dû éviter de déclencher cette enquête disciplinaire qui, selon nos sources arrive à son terme – deux des trois magistrats ayant été entendus ces derniers jours, et Eliane Houlette, l’ancienne cheffe du PNF ayant refusé de répondre ?

Le second volet concerne un juge de Monaco. Là aussi, alors qu’en tant avocat il avait défendu un policier mis en examen par ce magistrat, le traitant de « cow-boy », Éric Dupond-Moretti, devenu ministre, a lancé des poursuites disciplinaires contre le juge monégasque. « Un ministre de la Justice peut-il intervenir dans des dossiers qu’il a eus à connaître dans ses anciennes fonctions, concernant des amis ou des clients, nous pensons que non, comme l’immense majorité des magistrats » résume Céline Parisot, la présidente de l’USM.

Rupture avec les deux syndicats de magistrats

« Nous travaillons avec le ministère, mais nous n’avons en effet plus aucune relation avec lui, confirme Céline Parisot. Il a toujours refusé d’évoquer ces questions de « prises illégales d’intérêt » avec nous. Après les derniers attentats terroristes, nous avions accepté une réunion en visio conférence avec le ministre, mais là aussi le débat a tourné court. Aucun dialogue n’est possible avec lui, c’est désespérant… »

Dans les rangs de la magistrature, après les spectaculaires mouvements de protestation de l’automne dernier, la grogne semble encore intacte. Bruno Thouzellier, ancien président de l’USM, aujourd’hui à la retraite, qui voit passer les messages sur les groupes de réflexion confirme : « Même si les magistrats sont des gens fatalistes, la grogne ne baisse pas parce que tout le monde perçoit bien les connivences derrière tout cela et les menaces qui planent sur l’indépendance…»

Le bras de fer avec Anticor

Anticor, l’association anti-corruption sollicite le renouvellement de son agrément auprès du ministère. « Sans cet agrément, nous ne pourrons plus avoir accès aux dossiers, et nous ne savons pas ce que deviendra la centaine d’affaires dans lesquelles nous sommes partie civile et que pour certaines nous avons initiées », confie Elise Van Beneden, la présidente de l’association. À la Chancellerie, ce renouvellement d’agrément semble traîner… En août, un premier dossier a carrément été égaré. Anticor l’a renvoyé en septembre. « Les textes prévoient que si nous n’obtenons pas l’agrément d’ici le 2 février, il tombe », se désole la présidente.

Dans sa dernière demande, le ministère réclame à Anticor la liste de ses principaux donateurs. « Nous avons 5000 adhérents, aucun soutien étranger, un budget de 280 000 euros, et seulement trois donateurs de plus de 10 000 euros, mais nous nous refusons de livrer leur nom, cela ne se fait pas », glisse la présidente. L’association, dont l’agrément avait été renouvelé sans coup férir en 2018, gêne-t-elle désormais ? De fait, Anticor est partie civile dans plusieurs affaires visant des proches d’Emmanuel Macron : les affaires Ferrand, Kohler et Benalla. « Je n’imagine pas que l’agrément ne soit pas renouvelé, avec toutes les conséquences que cela pourrait avoir », estime Me Jérôme Karsenti, avocat de l’association. Certains, dans les rangs de l’association, craignent une possible « vengeance » du garde des Sceaux, visé par la plainte devant la CJR. Sur le papier pourtant, même si l’examen du dossier d’agrément appartient aux services du ministère de la Chancellerie, c’est le Premier ministre qui devra trancher.

« La Justice ne devrait jamais être un enjeu politique », a prévenu lundi François Molins, citant Pierre Truche, ancien procureur général, décédé en mars 2020. Ce vœu a toujours été difficile à tenir…

La réforme du parquet a été maintes fois promise

Rappelons qu’ en juillet 2020,  le nouveau garde des Sceaux Eric Dupond-Moretti affirmait devant des sénateurs avoir eu l’assurance du président de la République qu’il y aurait une révision constitutionnelle – une de plus dira t on? – avant la fin du mandat concernant le statut du parquet.

Cette réforme – qui avait été suspendue jusqu’à nouvel ordre par l’actuel chef de l’Etat – prévoit que les procureurs soient nommés, comme les juges, sur «avis conforme» du Conseil supérieur de la magistrature (CSM), organe indépendant. Dans la pratique c’est déjà le cas depuis 2012, mais en théorie, l’exécutif peut passer outre l’avis du CSM, ce qui alimente quotidiennement des soupçons d’instrumentalisation politique des poursuites.

Cette réforme suppose une révision constitutionnelle, avec l’accord de l’Assemblée nationale et du Sénat réunis en congrès.

«Les magistrats, et particulièrement ceux du parquet, attendent cette réforme. (…) Il s’agit d’inscrire, de graver dans le marbre de la Constitution une pratique que ce pouvoir a toujours respectée», a-t-il redit devant les sénateurs.

Voici un article de Libération rédigé avant la séance de lundi

ARTICLE

Une information judiciaire bientôt ouverte à l’encontre du garde des Sceaux pour «prises illégales d’intérêts»

Par Chloé Pilorget-Rezzouk — 8 janvier 2021 LIBERATION

Les trois syndicats de magistrats et l’association Anticor avaient adressé des plaintes et un signalement visant Eric Dupond-Moretti à la Cour de justice de la République.

  •   Une information judiciaire bientôt ouverte à l’encontre du garde des Sceaux pour «prises illégales d’intérêts»

Six mois après son arrivée place Vendôme, Eric Dupond-Moretti est plus que jamais dans la tourmente. Une information judiciaire va bientôt être ouverte à l’encontre du garde des Sceaux pour «prises illégales d’intérêts», a annoncé vendredi dans un communiqué François Molins, le procureur général près la Cour de cassation. La commission d’instruction de la Cour de justice de la République (CJR), seule juridiction habilitée à juger les ministres pour des délits ou crimes commis dans l’exercice de leurs fonctions, va donc enquêter sur l’ancien pénaliste.

La commission des requêtes de cette juridiction d’exception, composée de sept hauts magistrats, a en effet estimé recevables les plaintes et un signalement de l’association Anticor et des trois syndicats de magistrats. Elle a donc émis «un avis favorable […] à la saisine de la commission d’instruction de la CJR pour instruire du chef de prise illégale d’intérêts contre Monsieur Dupond-Moretti», est-il indiqué dans le communiqué. Le 8 octobre, l’association anticorruption avait adressé une plainte à la CJR pour prise illégale d’intérêts après que le ministre, dans l’affaire des «fadettes», a saisi l’Inspection générale de la justice (IGJ) d’une enquête administrative contre trois magistrats du Parquet national financier (PNF).

Ces derniers, dont les noms avaient été rendus publics par le garde des Sceaux, avaient mené des investigations visant à identifier une taupe, au sein même de l’appareil judiciaire, susceptible d’avoir informé Nicolas Sarkozy et son conseil Thierry Herzog qu’ils étaient sur écoute. Plusieurs avocats, dont Eric Dupond-Moretti, avaient alors vu leurs «fadettes» (factures téléphoniques) épluchées dans le cadre de cette enquête préliminaire ouverte en 2014. Fustigeant des «méthodes de barbouzes», le ténor du barreau avait déposé plainte, avant de la retirer une fois nommé au ministère de la Justice. 

Plusieurs mois de tensions

Le 14 octobre, le syndicat Unité magistrats SNM-FO avait également adressé un signalement à la juridiction d’exception pour les mêmes faits. Et le 16 décembre, ce sont les deux principales organisations professionnelles, l’Union syndicale de la magistrature (USM) et le Syndicat de la magistrature (SM), qui ont déposé une plainte commune pour «prise illégale d’intérêts», accusant le garde des Sceaux de conflits d’intérêts liés à ses anciennes activités professionnelles. Une démarche inédite, climax de plusieurs mois de tensions entre la profession et le ministre. Cette plainte vise aussi l’ouverture, par Eric Dupond-Moretti, d’une enquête administrative contre un ex-juge d’instruction à Monaco, Edouard Levrault. Celui-ci a dénoncé avoir subi des pressions. «Un des anciens clients de M. Dupond-Moretti a déposé plainte» contre ce magistrat, est-il précisé dans le communiqué. Magistrat qui «avait, par ailleurs, été qualifié péjorativement dans la presse par M. Dupond-Moretti alors avocat.»

«Nous nous réjouissons de cette décision de la CJR, réagit auprès de Libération Céline Parisot, la présidente de l’USM. Mais ce n’est qu’une première étape : nous attendons surtout la suite, les investigations qui vont être menées par la commission d’instruction.» «Même si on ne peut préjuger de son issue, cette enquête va permettre d’aller au fond des choses sur ce problème institutionnel que nous dénonçons depuis le début», abonde Katia Dubreuil, présidente du SM.

En septembre dernier, toutes deux déclaraient dans un entretien à Libération : «Le garde des Sceaux lui-même décide de lancer une enquête administrative contre trois magistrats, à partir d’un rapport qui ne l’appelait pas du tout, alors même qu’il ne peut pas utiliser ses prérogatives de ministre pour donner suite à une affaire dans laquelle il avait déposé plainte précédemment en tant qu’avocat… On a un ministre qui ne se comporte pas en ministre.» Contacté, l’entourage d’Eric Dupond-Moretti renvoie à ses déclarations diffusées jeudi soir sur France 2. Dans un numéro de Complément d’enquête diffusé à l’occasion de ses six premiers mois en poste, l’ancien ténor du barreau lançait au sujet de cette plainte : «Je ne sais pas quel sort lui sera réservé, mais sachez bien que le moment venu, je m’expliquerai. Vous pourrez compter sur moi pour dire tout ce que j’ai à dire.»

Chloé Pilorget-Rezzouk

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