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INCROYABLE MODERNITÉ DE «LA SERVITUDE VOLONTAIRE» PARTIE 1 – LEÇON D’HISTOIRE

MODERNITE DE LA BOETIE PARTIE 1

Sud Ouest a publié un article en deux parties qui nous a été signalé par un de nos lecteurs.

Dans ce premier volet, il est question de l’appropriation de ce texte par les protestants peu après sa parution en 1548.

Dans le second volet, il sera question de la façon dont les Résistants se sont emparés de ce texte, durant la Seconde Guerre mondiale.

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Article

« Une leçon d’histoire » : l »incroyable modernité de « La Servitude volontaire » de La Boétie

  • Par Anne Marie Cocula, historienne, ancienne présidente de l’université Bordeaux-Montaigne, spécialiste de l’histoire de l’Aquitaine.
  • Publié le 15/02/2019 Sud Ouest

Le destin étonnant du texte d’Etienne de La Boétie, « De la servitude volontaire », a été exploré par l’historienne Anne-Marie Cocula (éditions Garnier). 

Cette appropriation s’effectue rapidement en dépit d’une censure toujours aux aguets. Pareille célérité est révélatrice de la résonance européenne des « massacres de Paris » jugés insupportables et sacrilèges par les princes protestants du Saint-Empire. Car eux-aussi se sentent menacés par les progrès de la réforme catholique du concile de Trente avec pour fers de lance des collèges de Jésuites implantés à proximité de leurs États. En même temps, aux Pays-Bas, se joue le destin des « gueux de mer » révoltés contre Philippe II : tel est le surnom qu’ont reçu, en 1566, les nobles qui se sont opposés, sous la conduite de Guillaume d’Orange, à la politique de répression religieuse du roi d’Espagne. Privés du soutien français que tentait de négocier Coligny auprès de Charles IX, ils résistent dans leurs bastions de Hollande et de Zélande sous le commandement du stathouder Guillaume d’Orange, surnommé le Taciturne. Des années plus tard, Montaigne comparera son destin à celui d’Henri de Navarre, craignant pour le second les tentatives d’assassinat qui auront raison de l’existence du premier en juillet 1584 (1).

Le texte de la « Servitude volontaire » n’apparaît pas dans les premiers ouvrages de ceux qui seront appelés plus tard « monarchomaques (2) ». Le premier d’entre eux est le « Francogalli »a de François Hotman, publié à Genève à la fin de l’année 1573. Son auteur, juriste éminent, précocement converti au calvinisme, est devenu secrétaire de Calvin en 1549, puis il a fréquenté l’entourage d’Antoine de Navarre et de Louis de Condé avant d’apporter son soutien à la politique du chancelier Michel de L’Hôpital et de devenir, enfin, un universitaire nomade entre la France et Genève. Les massacres de la Saint-Barthélemy l’incitent à publier le « Francogallia », rédigé avant 1570. D’emblée le succès de l’ouvrage lui vaut d’être traduit en français sous le titre de « La Gaule françoise », par Simon Goulart, pasteur à Genève depuis 1566.

Rien d’exaltant dans ce traité qui retrace la victoire des Francs sur les Romains et leurs alliances avec les Gaulois pour édifier ensemble la France-Gaule, délivrée des conquérants italiens. Mais son message est clair et attirant pour de nombreux lecteurs puisque trois éditions sont épuisées dès 1574 : il faut se débarrasser de la tyrannie de la papauté et de tous les Italiens, influencés par Machiavel, qui pervertissent la Cour des Valois. Par précaution éditoriale envers le Conseil de Genève soucieux de ne pas se brouiller avec le roi de France, l’auteur se tait sur les massacres de la Saint-Barthélemy.Son message est clair : il faut se débarrasser de la tyrannie de la papauté et de tous les Italiens, influencés par Machiavel.

C’est une leçon d’histoire qu’il présente à ses lecteurs en rappelant les origines d’une monarchie d’abord élective, puis héréditaire mais tempérée par les assemblées d’États, enfin, tyrannique dès le règne de Louis XI. Soit le récit raisonné d’une évolution politique déjà présente à mots à peine couverts dans la Servitude volontaire pleine d’irrespect envers les pratiques cérémonielles du sacre et les symboles de la monarchie.la statue de Jean Calvin à Genève.

Dès 1573, une plume déjà célèbre s’est lancée dans le même combat : celle de Théodore de Bèze dont l’ouvrage « Du droit des magistrats sur leurs sujets » paraît anonymement l’année suivante. Depuis la mort de Calvin, en 1564, il se présente comme « le directeur de conscience du monde réformé», s’imposant d’user de pragmatisme et de proposer des réponses rapides aux questions brûlantes de ses coreligionnaires sur la légitimité du droit de résistance (3). Ni lui, ni François Hotman n’avaient besoin de l’appoint idéologique de la « Servitude volontaire » même si tous deux avaient pu avoir accès au manuscrit de La Boétie. On en est quasiment sûr pour François Hotman en rupture précoce avec son père qui fut membre du parlement de Paris et de la Chambre ardente créée par Henri II pour lutter contre l’hérésie. Lui-même, comme La Boétie, a fait ses études de droit à Orléans avant de donner dès 1546, à 22 ans, des cours à l’université de Paris. Son jeune talent et son érudition ressemblent à ceux de La Boétie qu’il a pu rencontrer à Orléans ou Paris.

Dès lors, on comprend mieux pourquoi, en octobre 1580, au début de son grand voyage vers l’Italie, Montaigne s’arrête à Bâle pour partager un dîner avec François Hotman en s’entretenant avec lui de la diversité des religions en Suisse. Un peu plus tard, parvenu à Bolzano, à proximité de Trente, Montaigne en profite pour lui écrire une lettre sur le plaisir qu’il a pris à visiter l’Allemagne (4). Cette rencontre suffit à lever les doutes de Michelet quand il pose cette question dans son « Histoire de France » : Hotman connut-il le petit livre brûlant de La Boétie, « Le Contr’un », écrit dès longtemps en 1549, mais imprimé seulement en 1578 ? Nul doute qu’il n’en courut des copies. Le livre de La Boétie fut intitulé « Le Contr’un ». Celui d’Hotman aurait pu s’intituler « Le Pour Tous » (5).En 1580, Montaigne s’arrête à Bâle pour partager un dîner avec François Hotman en s’entretenant avec lui de la diversité des religions en Suisse.

L’année 1574 est celle de l’entrée en scène du « Discours de la servitude volontaire » au sein des futurs monarchomaques même si, à la différence des traités de Théodore de Bèze et de François Hotman, il n’est qu’une force d’appoint dans le creuset de publications destinées à élargir le cercle intensément curieux de lecteurs clandestins. Deux extraits tra- duits en latin paraissent dans un traité paru à Édimbourg – en réalité Bâle, Lausanne ou Genève – intitulé : « Dialogi ab Eusebio Philadelpho cosmopolita ». En même temps le traité paraît en français sous un titre explicite : « Réveille-matin des François et de leurs voisins », composé par Eusebe Philadelphe cosmopolite, en forme de Dialogues. Qui se cache derrière cette identité facile à décrypter ? Le médecin dauphinois Nicolas Barnaud ? Le juriste Hugues Doneau? Plus sûrement, si l’on se fonde sur l’analyse du texte proposée par Joseph Barrère, François Hotman en personne (6).

Dans le second dialogue d’Eusèbe Philadelphe imaginé depuis l’étranger, un réfugié venu de France se plaint des violences qu’il a subies et accuse la reine mère, cible des attaques protestantes dans un imposant pamphlet contemporain de 1574 et promis à un bel avenir pour inspirer à travers siècles l’animosité des historiens :  » Discours merveilleux de la vie, actions et deportemens de la reyne Catherine de Medicis , declarant tous les moyens qu’elle a tenus pour usurper le gouvernement du royaume de France et ruiner l’etat d’iceluy » (7). Tout est dit dans le titre qui fait d’elle une usurpatrice et mêle sa vie privée et publique en une légende aussi noire que la couleur de ses vêtements puisque, à la mort de Henri II, Catherine de Médicis a délaissé les parures blanches des reines veuves pour s’habiller toute en noir. À ses côtés, Charles IX occupe dans le « Réveille-matin des Français » une place à part qui le distingue de son frère cadet, le duc d’Anjou, futur Henri III, presque autant blâmé que leur mère : « Le récit gravite autour de l’image d’un roi manipulé, initié depuis l’âge de douze ans à l’art de blasphémer, de paillarder, de dissimuler, de se parjurer, d’aimer le goût et la vue du sang, persuadé que selon la doctrine de Machiavel il ne peut gouverner son royaume que dans l’unité de la seule foi romaine (8) ».

Ce portrait d’un souverain pervers ne va plus changer puisque Charles IX meurt le 30 mai 1574, moins de deux ans après la Saint-Barthélemy. Dès son décès, la guerre des pamphlets s’est envenimée : les uns, côté catholique, décrivent l’agonie d’un jeune roi promis au martyr, les autres, côté protestant, insistent sur les sueurs sanglantes de son corps annonciatrices de l’imminence d’un châtiment divin. Plus tard, dans les « Essais », Montaigne s’est donné le temps de la réflexion et de la recherche de comparaisons antiques pour dresser le bilan de son règne :

Quant à Seneque, parmy une miliasse de petits livrets, que ceux de la Religion pretendue reformée font courir pour la deffence de leur cause, qui partent parfois de bonne main, et qu’il est grand dommage n’estre embesoignée (utilisée) à meilleur subject, j’en ay veu autres-fois un, qui pour alonger et remplir la similitude qu’il veut trouver, du gouvernement de nostre pauvre feu Roy Charles neufiesme, avec celuy de Neron, apparie feu Monsieur le Cardinal de Lorraine avec Seneque, leurs fortunes, d’avoir esté tous deux les premiers au gouvernement de leurs princes, et quant et quant leurs mœurs, leurs conditions, et leurs deportemens (II, 32, p. 757-758).

Réflexion capitale, pas toujours assez mise en valeur, révélatrice de sa part d’une compréhension à l’égard de la multiplication des pamphlets protestants dont il souligne la raison d’être (« la deffence de leur cause ») et la tenue (« qui partent par fois de bonne main ») tout en dénonçant le choix de leurs thèmes (« il est grand dommage n’estre embesoignée à meilleur subject »). À propos de Charles IX accusé d’être plus cruel et tyrannique que Néron, Montaigne expose le point de vue d’un « chevalier » de noblesse récente qui doit au jeune souverain son entrée dans l’ordre de Saint-Michel et qui choisit de s’apitoyer en fidèle sujet sur « nostre pauvre feu Roy ».Bergerac est devenue une place forte protestante qui permet à ses soldats de contrôler le pont sur la Dordogne. 

À quel moment Montaigne a-t-il été informé de l’appropriation de la « Servitude volontaire » par les protestants? Il vivait alors douloureusement la situation de sa « patrie», la Guyenne, avec une mention spéciale pour Sarlat prise par surprise par Geoffroy Vivant, fin stratège et capitaine audacieux du parti protestant en Périgord et Quercy depuis l’assassinat de Clermont de Piles dans la nuit de la Saint-Barthélemy. En s’emparant de Sarlat, le 22 février 1574, Geoffroy Vivant obéit aux consignes de François de La Noue qui a donné l’ordre de se saisir de villes catholiques lors des « baccanales, festins et masquarades» du Carnaval. Ainsi, « sur la pointe du jour », la ville natale de La Boétie fut occupée par une trentaine d’hommes d’armes qui saccagent les églises, pillent les maisons, rançonnent les habitants. Absent de la ville, l’évêque François de Salignac, réfugié à Issigeac, doit payer une forte rançon. Moins chanceux, son frère, l’archidiacre Pons de Salignac, meurt poignardé dans son logis tandis que les reliques de saint Sacerdos, le protecteur de la cité, sont réduites en cendres (9).

Deux mois durant, la ville reste aux mains des protestants avant d’être reconquise, le 12 mai, par ses habitants grâce aux renfort des seigneurs catholiques des châteaux alentours. D’autres proies urbaines tombent alors entre les mains de Geoffroy Vivant qui réussit, par surprise, à s’emparer de la ville de Périgueux en août 1575. À cette date, Bergerac est devenue une place forte protestante qui permet à ses soldats de contrôler le pont sur la Dordogne et d’assurer le passage des troupes entre leurs deux places de sûreté primordiales : La Rochelle et Montauban. Plus que jamais, la demeure de Montaigne vit sous la menace de leurs allées et venues. Plus que jamais son engagement est devenu nécessaire comme le prouve sa présence au camp de Sainte-Hermine, en Vendée, où l’armée du duc Louis II de Montpensier attend l’occasion favorable de repousser l’offensive menée en Poitou par François de La Noue, le « Bayard huguenot» à l’origine des prises d’armes du mardi gras. Dans son Éphéméride, à la date du 11 mai 1574, Montaigne est fier d’avoir été auprès du parlement de Bordeaux le porte-parole du commandant de l’armée royale (10).

À la nouvelle de la mort de Charles IX, son frère et successeur, Henri III, élu roi de Pologne depuis mai 1573, s’est enfui en toute hâte de Cracovie dans la nuit du 18 au 19 juin. C’est seulement le 6 septembre qu’il arrive à Lyon, attendu avec impatience par Catherine de Médicis et la Cour. Le nouveau roi n’est plus un adolescent ou un tout jeune homme comme l’étaient ses frères François II et Charles IX. Au contact de sa mère dont il est le fils préféré, il a appris la « culture du secret» et la « persévérance à user de la rhétorique pour éviter le recours à la violence (11) ». Enfin, il reste auréolé aux yeux des catholiques d’une réputation de grand capitaine acquise sur les champs de bataille de sa jeunesse en dépit de sa dérobade à la fin du siège de La Rochelle pour mieux préserver ses chances d’accéder au trône de Pologne.

Notes

(1) Les « Essais », II, 29, p. 746-747.(2) Ce terme est utilisé pour la première fois dans un sens péjoratif par l’Anglais William Barclay dans un traité publié en 1600 qui s’en prend à ceux qui « s’efforcent de détruire les royaumes et les monarchies et de les réduire en anarchies » (Histoire et dictionnaire des guerres de religion, op. cit., article Monarchomaques, p. 1109-1110.)(3) « Histoire et dictionnaire des guerres de religion », op. cit., p. 216-217.(4) Montaigne, « Journal de Voyage », édition de Fausta Garavini, Gallimard, 1983, p. 90 et p. 148.(5) Michelet, « Renaissance et Réforme, Histoire de France au XVIe siècle », Bouquins, 1982, p. 632.(6) Déborah Knop et Jean Balsamo, (De la servitude volontaire, Rhétorique et politique en France sous les derniers Valois(, op. cit., p. 47.(7) « Discours merveilleux de la vie, actions et déportemens de Catherine de Médicis, Royne-mère », édité par Nicole Cazauran, Genève, Droz, 1995. . On se saurait bien sûr souscrire au point de vue de Christophe Bardyn qui attribue sans sourciller la paternité de ce pamphlet retentissant à Montaigne (Montaigne, La splendeur de la liberté, op. cit., p. 20).(8) Denis Crouzet, « Le Haut Cœur de Catherine de Médicis », op. cit., p. 511.9) « Les Chroniques » de Jean Tarde, op. cit., p. 253-254.(10) Alain Legros, Montaigne manuscrit, op. cit., p. 87.

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