
RAPPEL DE LA DEFINITION DE L’ETAT DE DROIT
Les rapporteurs du rapport dont nous vous présentons les extraits majeurs, ont dégagé – déclarent ils – les principes généraux qui fondent l’État de droit au sein de l’Union :
– la légalité (procédure d’adoption des textes de loi transparente, responsable, démocratique et pluraliste) ;
– la sécurité juridique ;
– l’interdiction de l’arbitraire du pouvoir exécutif ;
– une protection juridictionnelle effective (juridictions indépendantes et impartiales et contrôle juridictionnel effectif) ;
– la séparation des pouvoirs ;
– l’égalité devant la loi.
On pourrait y ajouter la transparence, même si celle ci est intégrée – notamment – dans la sécurité juridique; mais également la responsabilité des acteurs publics, ministres, fonctionnaires, élus; le respect des libertés individuelles doit également y figurer de manière spécifique, en parallèle à la hiérarchie des normes, nationales, européennes ou internationales.
Assemblée Nationale – Rapport d’information
L’État de droit dans les contextes des états d’urgence sanitaire
Présentation
Face à la crise sanitaire qui a frappé le monde à partir de 2020, la quasi-totalité des États membres de l’Union européenne a été amenée à prendre des mesures d’urgence. Ces « états d’urgence » ont globalement pour caractéristiques de modifier le fonctionnement normal du système politique et de suspendre certains droits et libertés fondamentaux.
Au sein de l’Union européenne, ces états d’urgence ont conduit à remettre sur le devant de la scène la question de la protection de l’État de droit. La commission des Affaires européennes avait publié, dès le mois d’octobre 2018, un rapport d’information sur « le respect de l’État de droit au sein de l’Union européenne » qui avait déjà mis en avant les difficultés à définir l’État de droit de manière consensuelle au sein de l’Union.
Ce rapport analyse, dans sa première partie, les réponses apportées par les États membres face à la crise sanitaire à l’aune de leurs impacts sur les droits et libertés, l’objectif étant d’évaluer si ces réponses ont respecté les principes de proportionnalité, de nécessité, de temporalité et d’efficacité, seuls à même de justifier les atteintes à l’État de droit. Dans une deuxième partie, le rapport étudie les dispositifs européens de protection de l’État de droit et leur utilisation dans le contexte de la crise sanitaire. Cette analyse a permis de formuler certaines propositions pour continuer à garantir efficacement l’État de droit au sein de l’Union en période de crise.
Sommaire
INTRODUCTION
PREMIÈRE PARTIE. LA CRISE SANITAIRE : UN RÉVÉLATEUR DES FORCES ET FAIBLESSES EUROPÉENNES EN MATIÈRE D’ÉTAT DE DROIT
I. DES RÉPONSES JURIDIQUES DIVERSES A LA CRISE SELON LES ÉTATS MEMBRES, SANS COORDINATION EUROPÉENNE
A. DES ÉTATS D’URGENCE HÉTÉROGÈNES ET NON COORDONNÉS AU NIVEAU EUROPÉEN
B. UNE RÉSILIENCE GLOBALE DE L’ÉTAT DE DROIT FACE À LA PANDÉMIE, MALGRÉ DES CONTENUS HÉTÉROGÈNES DES ÉTATS D’URGENCE
1. Les critères utilisés pour évaluer la compatibilité des états d’urgence avec l’État de droit
2. Un « auto-dessaisissement » parlementaire au profit des exécutifs nationaux
3. Une limitation massive et nécessaire de la liberté de circulation, de rassemblement et d’association
4. Impact sur le respect de la vie privée : une tentative d’encadrement européen
5. Justice et collectivités territoriales : des acteurs centraux pour répondre à la crise
6. Une limitation de la liberté de la presse du fait de la crise : le travail crucial des journalistes face au risque de désinformation
II. FOCUS SUR CERTAINS ÉTATS MEMBRES
A. HONGRIE
B. POLOGNE
C. MALTE
D. ITALIE
E. ESPAGNE
F. ROUMANIE
G. PAYS-BAS
H. SUÈDE
I. FRANCE
SECONDE PARTIE. DES RÉPONSES ENCORE PERFECTIBLES POUR ASSURER UN RESPECT DE L’ÉTAT DE DROIT EN PÉRIODE DE CRISE
I. UN SUIVI RÉGULIER MAIS ENCORE TROP FAIBLE DE LA SITUATION DE L’ÉTAT DE DROIT PENDANT LA CRISE SANITAIRE PAR LES INSTITUTIONS EUROPÉENNES
II. UNE OPÉRATIONNALITÉ HÉTÉROGÈNE DES DIFFÉRENTS OUTILS EXISTANTS
A. ARTICLES 2 ET 7 TUE : UNE RÉPONSE TRADITIONNELLE RENDUE INOPÉRANTE PAR LA CRISE SANITAIRE
1. Des articles cruciaux mais peu opérants pour garantir l’État de droit
2. Des articles rendus encore plus difficiles à appliquer du fait de la crise sanitaire et dont la mise en œuvre est critiquée
B. LE « SEMESTRE DE L’ÉTAT DE DROIT » : UNE RÉPONSE DONT L’EFFICACITÉ RESTE À DÉMONTRER
C. LE MÉCANISME DE CONDITIONNALITÉ DES FONDS EUROPÉENS : UNE RÉPONSE ORIGINALE QUI DOIT ÊTRE PRÉCISÉE ET ENCADRÉE
III. RENFORCER LES MESURES DE COORDINATION DES ÉTATS D’URGENCE ET DE RÉACTION FACE AUX MENACES À L’ÉTAT DE DROIT
A. UN CONTRÔLE ACCRU PAR LES PARLEMENTS NATIONAUX DOIT ÊTRE ORGANISÉ
B. LA SÉPARATION DES POUVOIRS DOIT ÊTRE STRICTEMENT GARANTIE
C. LA LIBERTÉ DE LA PRESSE DOIT ÊTRE PROTÉGÉE
CONCLUSION
TRAVAUX DE LA COMMISSION
ANNEXES
ANNEXE N° 1 : LISTE DES PERSONNES AUDITIONNÉES PAR LES RAPPORTEURS
1. Institutions
2. Universitaires
3. Think tanks et organisations non gouvernementales
INTRODUCTION
Mesdames, Messieurs,
Face à la crise sanitaire qui a frappé le monde à partir de 2020, la quasi-totalité des États membres de l’Union européenne a été amenée à prendre des mesures d’urgence. Ces « états d’urgence » (dont les noms, les périmètres, les durées et les contenus ont varié) ont globalement pour caractéristiques de modifier le fonctionnement normal du système politique et de suspendre certains droits et libertés fondamentaux.
Au sein de l’Union européenne, ces états d’urgence ont conduit à remettre sur le devant de la scène la question de la protection de l’État de droit. La commission des Affaires européennes avait publié, dès le mois d’octobre 2018, un rapport d’information sur « le respect de l’État de droit au sein de l’Union européenne » ([1]). Ce rapport avait déjà mis en avant les difficultés à définir l’État de droit de manière consensuelle au sein de l’Union.
En effet, cette définition ne va pas sans difficultés juridiques, malgré la similitude de l’expression d’« État de droit » avec le principe britannique de rule of law ou encore avec la théorie allemande du Rechsstaat. Au niveau européen, l’article 2 du traité sur l’Union européenne (TUE) fait référence à l’« État de droit », mais sans le définir, du fait de l’hétérogénéité des traditions nationales.
Sur ce fondement, l’action de l’Union européenne en vue de protéger l’État de droit a consisté principalement à déclencher la procédure issue de l’article 7 TUE à l’encontre de la Hongrie et de la Pologne.
Depuis 2018, toutefois, le contexte a profondément évolué. Non seulement les initiatives prises par les institutions européennes en lien avec l’article 7 TUE n’ont pas eu, à ce stade, d’effets concrets, mais surtout la crise sanitaire a ravivé certaines inquiétudes en lien notamment avec la protection des droits fondamentaux, la séparation des pouvoirs, le contrôle parlementaire et la situation de la presse. Par définition, les mesures pour faire face à la crise ont nécessité d’attenter fortement à certaines libertés fondamentales, en particulier la liberté de déplacement et de réunion. La crise a également bouleversé le fonctionnement des parlements, qui ont été dessaisis de certaines compétences fondamentales.
C’est pourquoi il est apparu nécessaire, dans le prolongement du rapport de 2018 et à la lumière des réponses à la crise sanitaire, sans jugement de valeur mais en se fondant sur le droit, d’approfondir la situation de l’État de droit dans les États membres ainsi que les réactions européennes, afin d’évaluer leur pertinence et les moyens de les renforcer. Vos rapporteurs tiennent à insister sur le fait que le présent rapport ne traitera que de l’État de droit sous l’angle des réactions européennes à la crise sanitaire et non de la situation de l’État de droit dans son ensemble. L’objectif est d’analyser les réponses nationales à la crise au regard de différents critères afférents à l’État de droit et de tenter de définir celles qui ont pu fonctionner et celles qui ont échoué.
Selon vos rapporteurs, la crise sanitaire n’a pas créé de situations inédites en ce qui concerne le respect de l’État de droit. Celle-ci a plutôt fait l’effet d’un « stress test » pour l’État de droit en Europe, conduisant certains États membres à remettre en cause temporairement les droits fondamentaux. En outre, les États pour lesquels un risque était déjà identifié avant la crise sanitaire suscitent des inquiétudes renforcées.
Ainsi, vos rapporteurs ont commencé par analyser les réponses apportées par les États membres face à la crise sanitaire à l’aune de leurs impacts sur les droits et libertés. L’objectif est d’évaluer si ces réponses ont respecté les principes de proportionnalité, de nécessité, de temporalité et d’efficacité, seuls à même de justifier les atteintes à l’État de droit (première partie).
Ensuite, vos rapporteurs ont souhaité analyser les dispositifs européens de protection de l’État de droit et leur utilisation dans le contexte de la crise sanitaire. Cette analyse leur a permis de formuler certaines propositions pour continuer à garantir efficacement l’État de droit au sein de l’Union en période de crise (seconde partie).
Extrait comportant les 5 propositions
LE « SEMESTRE DE L’ÉTAT DE DROIT » : UNE RÉPONSE DONT L’EFFICACITÉ RESTE À DÉMONTRER
Le rapport annuel de la Commission européenne sur l’État de droit ([108]), publié depuis 2020, constitue l’élément clé de son nouveau mécanisme européen pour l’État de droit qui vise à créer un dispositif préventif de détection anticipée des défaillances de l’État de droit dans les États membres ([109]). Ce rapport résume des développements intervenus au cours des douze mois précédents en relation avec pour l’instant quatre thèmes : le système de justice, le cadre de lutte contre la corruption, le pluralisme des médias et les autres pouvoirs et contre-pouvoirs institutionnels.
Le rapport fait la synthèse des évolutions positives et négatives observées dans tous les États membres sur la base de sources fiables, sans pour autant en tirer des conclusions ou des recommandations. Le suivi de ce rapport est ensuite assuré par les institutions et les États membres et pourrait donner lieu à des conclusions du Conseil et à une résolution du Parlement européen.
Ce nouvel outil comporte plusieurs avancées importantes pour l’État de droit. Il permet d’abord de faire vivre le dialogue entre les institutions européennes et les États membres sur cette thématique, par la visite que fait la Commission européenne dans chaque État et les questions envoyées pour nourrir le rapport. Ensuite, avec pour ambition de faire du « name & shame », ce rapport s’inscrit dans une logique purement préventive.
L’exercice lié à la rédaction de ce rapport conduit chaque État membre à mener une analyse approfondie de sa situation en matière d’État de droit, à l’occasion des « dialogues » par pays mais aussi, sur une base annuelle, par la voie des questionnaires et visites de la Commission destinées à actualiser son rapport. En outre, par sa médiatisation ([110]), le rapport participe à une sensibilisation sur cette valeur fondamentale et les conditions de son respect. Enfin, ce rapport fournit à la Commission européenne des données actualisées, de sources différentes, sur les situations nationales d’État de droit, qui peuvent lui être utiles en cas d’actions judiciaires ou correctives.
Malgré ces avancées importantes, des améliorations substantielles doivent y être apportées, en particulier concernant le fait que le rapport reste très descriptif et parfois vague (« le gouvernement annonce », « le gouvernement envisage » ou « le gouvernement a exprimé sa détermination à »). En outre, le rapport 2020 ne contient aucune recommandation, même non contraignante. La première édition du rapport sur l’État de droit a par ailleurs été critiquée pour son « style diplomatique et un vocabulaire euphémistique (…) ; un manque de cohérence transversale entre les différentes analyses offertes en relation avec les quatre thèmes sélectionnés ; enfin, (…) des omissions coupables » ([111]).
Le rapport 2021 sur l’état de droit n’améliore pas sensiblement l’exercice sur ce sujet. Il fait un point synthétique sur l’impact de la pandémie, mais reste également très vague et ni tire aucune conséquence globale de cet événement majeur. Le rapport indique ainsi que « de nombreuses évolutions et exemples positifs peuvent être mis à profit pour améliorer la réponse juridique et politique en temps de crise, de manière à renforcer l’état de droit et la résilience démocratique » ou encore que « l’expérience a permis de sensibiliser davantage à l’importance de l’état de droit et à la manière dont les pouvoirs publics agissent en temps de crise ». ([112])
Plusieurs propositions peuvent donc être formulées, en plus de celles déjà énoncées par le Parlement européen ([113]), pour continuer à améliorer ce nouvel outil que constitue le rapport annuel sur la situation de l’État de droit.
Lors de son discours sur l’État de l’Union le 15 septembre 2021, la Présidente de la Commission européenne a annoncé que le rapport annuel sur l’État de droit pour 2022 « comprendra en outre des recommandations concrètes » sur la manière d’améliorer la situation. Il s’agira là d’une avancée importante qu’il importera de contrôler.
Proposition 1. S’assurer que les prochains rapports annuels sur l’État de droit contiennent des recommandations précises et qu’un suivi de ces recommandations est assuré d’une année sur l’autre.
Au sein du Conseil, les ministres ont conduit pour la première fois au Conseil Affaires générales du 17 novembre 2020 un examen par les pairs de la situation de cinq États membres (Belgique, Bulgarie, République tchèque, Danemark et Estonie), en s’appuyant sur les chapitres-pays du rapport annuel de la Commission. Cet examen par les pairs s’est poursuivi lors du Conseil Affaires générales du 20 avril 2021 lors duquel la situation en France, en Allemagne, en Grèce, en Espagne et en Irlande a été examinée. À l’issue de l’examen de l’ensemble des États membres, le Conseil pourrait adopter des conclusions générales sur cet exercice.
En outre, vos rapporteurs relèvent que l’examen des situations nationales au regard de l’État de droit en Conseil Affaires générales est inégal car les présidences du Conseil décident des sujets qui seront abordés, dont l’État de droit. Certains États membres sont plus disposés à aborder ce sujet tandis que d’autres sont réticents.
On peut relever que dans le cadre du nouveau mécanisme de la Commission européenne, le Conseil Justice et Affaires intérieures a également vocation à jouer un rôle de discussion, d’expertise et d’orientation sur les différentes dimensions du fonctionnement de la justice, telles que l’indépendance des juridictions, les réformes judiciaires, les garanties attachées à l’exercice des fonctions juridictionnelles et la lutte contre la corruption au sein des États membres.
Dans le cadre de la négociation du cadre financier pluriannuel 2021-2027, la Commission européenne a présenté une proposition de règlement fondée sur l’article 322 du TFUE établissant un mécanisme de conditionnalités financières liées au respect par les États membres des principes de l’État de droit, tels qu’ils résultent de l’article 2 du TUE.
Le 5 novembre 2020, le Parlement européen et le Conseil sont parvenus à un compromis dont les orientations sont les suivantes :
– le mécanisme sera déclenché en cas de « violations des principes de l’État de droit » et de risque d’atteinte (sérieuse et suffisamment directe) ou une atteinte effective aux intérêts financiers de l’Union ;
– les cas de violation cités sont larges ; ils incluent ainsi l’indépendance de la justice, le défaut de correction de décisions arbitraires ou illégales, ainsi que la limitation des recours juridiques. Ainsi, le texte s’appliquera non seulement en cas de corruption ou fraude, mais aussi en cas d’atteinte aux valeurs fondamentales de l’UE ;
– le Conseil se prononcera à la majorité qualifiée, comme annoncé dans les conclusions du Conseil européen de juillet ;
– le rôle du Parlement européen sera consultatif et prendra la forme d’un « dialogue structuré » avec la Commission sur ses propositions de mesures.
Toutefois, la Hongrie et la Pologne ont estimé que le compromis n’était pas conforme aux conclusions du Conseil européen de juillet et ont annoncé qu’elles ne pourraient accepter le paquet du CFP et du plan de relance si le texte restait en l’état.
Pour débloquer les discussions sur le paquet CFP-plan de relance sans rouvrir le règlement relatif à l’État de droit, la présidence allemande a proposé une déclaration interprétative, intégrée aux conclusions du Conseil européen des 10 et 11 décembre 2020. Cette déclaration permet de préciser et de clarifier le règlement en donnant des assurances sur la manière dont il serait interprété. Elle prévoit notamment :
– un rappel que le règlement vise à protéger le budget de l’Union et est distinct de la procédure prévue à l’article 7 du TUE ;
– qu’après un éventuel recours en annulation visant ce règlement, la Commission procéderait à l’élaboration de lignes directrices en lien avec les États membres, qui ne seraient finalisées qu’après la décision de la Cour ;
– la nécessité d’établir un lien suffisamment direct entre les violations constatées et les intérêts financiers de l’Union et sur la nécessité que la Commission se fonde sur sa propre évaluation de la situation dans l’État membre concerné ([114]);
– un rappel sur le fait que le règlement serait appliqué de manière impartiale et non discriminatoire ;
– un rappel du respect du principe de subsidiarité et l’utilisation du règlement en dernier recours si les autres outils à disposition s’avéraient inopérants ;
– une précision sur le fait que le règlement s’appliquerait aux engagements du CFP 2021-2027 et à l’instrument de relance.
Le 11 mars 2021, la Hongrie et la Pologne ont déposé un recours en annulation devant la CJUE contre le mécanisme conditionnant les versements de fonds européens au respect des règles de l’État de droit ([115]), retardant ainsi son entrée en vigueur ([116]).
Le mécanisme sera déclenché en cas de « violations des principes de l’État de droit » et de risque d’atteinte (sérieuse et suffisamment directe) ou une atteinte effective aux intérêts financiers de l’Union.
Selon l’article 4 du règlement, les violations des principes de l’État de droit concernent un ou plusieurs des points suivants :
– le bon fonctionnement des autorités exécutant le budget de l’Union, y compris des prêts et d’autres instruments garantis par le budget de l’Union, en particulier dans le contexte de procédures de passation de marchés publics ou d’octroi de subventions ;
– le bon fonctionnement des autorités chargées du contrôle, du suivi et de l’audit financiers, ainsi que le bon fonctionnement de systèmes efficaces et transparents de gestion et de responsabilité financières ;
– le bon fonctionnement des services d’enquête et de poursuites judiciaires dans le cadre des enquêtes et poursuites relatives à la fraude, y compris la fraude fiscale, à la corruption ou à d’autres violations du droit de l’Union concernant l’exécution du budget de l’Union ou la protection des intérêts financiers de l’Union ;
– le contrôle juridictionnel effectif par des juridictions indépendantes d’actes ou d’omissions des autorités mentionnées aux points précédents ;
– la prévention et la sanction de la fraude, y compris la fraude fiscale, de la corruption ou d’autres violations du droit de l’Union concernant l’exécution du budget de l’Union ou la protection des intérêts financiers de l’Union, ainsi que l’imposition de sanctions effectives et dissuasives aux destinataires par les juridictions nationales ou par les autorités administratives ;
– le recouvrement de fonds indûment versés ;
– la coopération effective et en temps utile avec l’Office européen de lutte antifraude et, sous réserve de la participation de l’État membre concerné, avec le Parquet européen à leurs enquêtes ou poursuites en vertu des actes de l’Union applicables conformément au principe de coopération loyale ;
– d’autres situations ou comportements des autorités qui sont pertinents pour la bonne gestion financière du budget de l’Union ou la protection des intérêts financiers de l’Union.
Par ailleurs, selon l’article 3 de ce même règlement, peuvent être indicatifs de violations des principes de l’État de droit :
– la mise en péril de l’indépendance du pouvoir judiciaire ;
– le fait de ne pas prévenir, corriger ou sanctionner les décisions arbitraires ou illégales des autorités publiques, y compris des autorités répressives, la retenue de ressources financières et humaines affectant leur bon fonctionnement ou le fait de ne pas veiller à l’absence de conflits d’intérêts ;
– la limitation de la disponibilité et de l’effectivité des voies de recours, notamment sous l’effet de règles de procédure restrictives et l’inexécution des décisions de justice, ou la limitation de l’effectivité des enquêtes, des poursuites ou des sanctions relatives à des violations du droit.
Grâce à un nouvel outil, se dessinent les contours d’un véritable « semestre européen de l’État de droit », qui doit permettre à la fois une revue régulière, précise et objective des situations dans chaque État membre mais aussi d’éventuelles sanctions. La Commission européenne a ainsi invité l’ensemble des parties à éviter une duplication des instruments, susceptible de fragiliser la protection de l’État de droit, en appelant notamment le Conseil à travailler aux synergies possibles, notamment entre l’idée d’une revue par les pairs, proposée par la Belgique et soutenue par l’Allemagne et le dialogue annuel sur l’État de droit ([117]).
Concernant les plans de relance hongrois et polonais, le Parlement européen a réclamé, en octobre 2021, une plus grande transparence dans la procédure d’approbation, afin de lever tous les doutes existants au regard de l’État de droit, de la primauté de la législation européenne, des marchés publics, de la corruption et du traitement inéquitable des minorités. Le Parlement européen a ainsi demandé à la Commission de ne pas approuver plans de relance avant que les éventuelles lacunes n’aient été comblées, conformément aux règles de la conditionnalité.
Plus largement, il apparaît nécessaire aujourd’hui, au regard des enseignements de la crise, de créer un système plus global de préservation de l’État de droit, en particulier en situation de crise. Le Parlement européen plaide depuis plusieurs années pour la mise en place d’un mécanisme de l’Union pour la démocratie, l’État de droit et les droits fondamentaux ([118]) qui a pour but de protéger l’État de droit et plus largement les droits fondamentaux. Le Parlement estime que ce mécanisme n’a pas seulement pour ambition de corriger les éventuelles violations de l’État de droit, mais également de les prévenir et à cette fin, il souhaite la mise en place d’un cycle annuel de suivi.
Ainsi, des recommandations détaillées pourraient être formulées pour chaque État membre, axées sur des objectifs à atteindre à plus ou moins court terme. Ce mécanisme a vocation à s’articuler avec le déclenchement de la procédure article 7 du TUE et avec la conditionnalité budgétaire et à prévaloir sur certains instruments d’ores et déjà en place tels que les rapports annuels de la Commission sur l’État de droit et sur la Charte, ainsi que le mécanisme de coopération et de vérification ou le cadre pour l’État de droit.
À ce titre, il paraît dans un premier temps crucial, afin de commencer à bâtir un mécanisme plus intégré de protection de l’État de droit, de mieux articuler l’application du règlement sur la conditionnalité des fonds avec le rapport annuel sur l’État de droit.
Proposition 2. Au sein du rapport annuel sur l’État de droit, une meilleure articulation avec les autres outils relatifs à l’État de droit doit être promue. En particulier, il serait souhaitable que le rapport contienne une section spécifique en ce qui concerne toute violation ou menace de violation des principes de l’État de droit qui tombent dans le champ d’application du règlement 2020/2092 sur la conditionnalité des fonds européens à l’État de droit.
L’analyse des mesures prises face à la crise ainsi que des outils mis en place par l’Union pour préserver l’État de droit montrent que l’Europe s’est saisie de cette question centrale mais que des marges d’amélioration importantes continuent d’exister.
Sans remettre en cause la souveraineté des États membres, vos rapporteurs considèrent que certaines mesures peuvent être envisagées pour continuer à s’assurer que l’État de droit reste respecté, dans ses grands principes, durant les périodes de crise, nécessairement propices à des remises en cause de certains droits et libertés.
Proposition 3. Demander à la Commission européenne de rédiger une boîte à outils à destination des États membres pour s’assurer du respect de l’État de droit en situation de crise.
La Commission européenne, dans son rôle de gardienne des traités, doit aider les États membres à assurer un respect de l’État de droit, y compris en situation de crise. Ces périodes difficiles sont en effet amenées à se répéter et il importe d’apprendre de la crise sanitaire également du point de vue du respect des droits et libertés fondamentales. En cela, la Commission européenne pourrait s’inspirer du rôle qu’a joué le Conseil de l’Europe pendant la crise.
Vos rapporteurs considèrent que cette boîte à outils devra comprendre plusieurs rubriques : rôle des parlements nationaux, garantie de la séparation des pouvoirs, protection de la liberté de la presse et l’utilisation de divers instruments pour faire respecter l’État de droit.
A. UN CONTRÔLE ACCRU PAR LES PARLEMENTS NATIONAUX DOIT ÊTRE ORGANISÉ
Le Conseil de l’Europe estime qu’en situation d’urgence, l’exécutif peut se voir accorder un pouvoir général de prendre des ordonnances ayant force de loi à condition que ces pouvoirs généraux soient accordés pour une durée limitée. Or, en temps de crise, le rôle de contrôle des parlements est plus que jamais indispensable, notamment si une forte délégation de compétences a été octroyée au gouvernement et dans un contexte où « le juge fait généralement preuve d’une très grande retenue » ([119]).
Par ailleurs, la prolongation du régime de l’état d’urgence devrait être soumise au contrôle du parlement quant à sa nécessité. Le Conseil de l’Europe ajoute qu’en vertu du principe de nécessité, les mesures d’urgence doivent pouvoir atteindre leur but en altérant le moins possible les règles de procédures normales du processus décisionnel démocratique et le pouvoir de l’exécutif de légiférer par ordonnances ne doit pas signifier qu’il est totalement libre.
Sur le rôle des parlements nationaux, l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe (ACPE) ([120]) souhaite renforcer sa coopération avec les parlements nationaux, en encourageant les délégations nationales à mettre en commun leurs bonnes pratiques et en organisant l’examen entre pairs des différents aspects des mesures prises pour faire face aux conséquences et aux implications de la pandémie, entre autres par le biais d’auditions parlementaires avec la participation d’experts du Conseil de l’Europe, en vue de mettre au point des solutions et des approches viables et durables pour répondre à des situations de crise similaires à l’avenir. Vos rapporteurs soutiennent cette initiative et appellent à une coopération parlementaire beaucoup plus étroite pour faire face à de nouvelles crises.
Proposition 4. Une coopération renforcée entre les parlements nationaux devrait permettre de mettre en commun les bonnes pratiques de contrôle de l’exécutif au regard des règles de l’État de droit dans le contexte de crise.
B. LA SÉPARATION DES POUVOIRS DOIT ÊTRE STRICTEMENT GARANTIE
Sur la répartition des pouvoirs et le contrôle de l’action de l’exécutif durant l’état d’urgence, le Conseil de l’Europe considère que certains contre-pouvoirs peuvent être assouplis pour permettre au pouvoir exécutif d’agir rapidement et efficacement, notamment en contournant la répartition ordinaire des compétences entre les autorités locales, régionales et centrales. La séparation des pouvoirs doit cependant être restaurée dès que la situation le permet.
À ce titre, les parlements doivent aussi conserver le pouvoir de contrôler l’action de l’exécutif en vérifiant à intervalles raisonnables si les pouvoirs d’urgence se justifient ou en intervenant le cas échéant pour modifier ou annuler ses décisions. Il ne devrait pas être possible de dissoudre les parlements en cas d’urgence.
S’agissant du contrôle judiciaire, et en particulier des cours constitutionnelles, le Conseil de l’Europe juge qu’il doit être préservé et qu’en particulier, les juges doivent pouvoir examiner les limitations les plus sérieuses aux droits de l’Homme posées par les dispositions législatives prises en cas d’état d’urgence. Il ajoute que des ajournements et le traitement accéléré ou groupé de certaines catégories d’affaires sont susceptibles d’être admissibles et que l’autorisation judiciaire préalable nécessaire dans certains cas peut être remplacée par un examen judiciaire ex post.
C. LA LIBERTÉ DE LA PRESSE DOIT ÊTRE PROTÉGÉE
En matière de protection de la presse, on peut relever que de nombreux États membres ont mis en place des mesures de soutien financier et fiscal spécialement destinées aux médias en réponse à la crise financière. Aujourd’hui extérieur à l’Union européenne, le Royaume-Uni a réduit la taxe sur les médias à 0 % tandis qu’en Allemagne le programme global d’aide d’État a été annoncé pour le secteur de la culture et des exigences réglementaires onéreuses et coûteuses ont été assouplies. Divers autres régimes de soutien financier ont été introduits en Lettonie, aux Pays-Bas et en Suède. Face aux impacts de la crise sanitaire liée à l’épidémie de Covid-19 et suite à la crise de la distribution provoquée par le redressement de la messagerie Presstalis, une aide exceptionnelle au bénéfice des distributeurs de presse a été mise en place en France ([121]).
Compte tenu des graves conséquences de la pandémie de COVID-19, la Commission a invité les États membres à soutenir les médias ([122]). Afin de faciliter le soutien apporté par les autorités nationales, le Conseil a invité la Commission à évaluer l’application des règles en matière d’aides d’État au secteur de la presse. La Commission évalue ensuite la nécessité d’une intervention appropriée ([123]). Par ailleurs, l’encadrement temporaire des aides d’État du 19 mars 2020 s’applique également aux mesures sectorielles, telles que les aides en faveur des secteurs de la presse, de la musique et de l’audiovisuel ([124]).
Le soutien financier de l’État par la publicité d’intérêt public peut être crucial, en particulier pour les médias sans but lucratif, les médias associatifs et d’autres formes de journalisme moins commerciales. Cependant, sans garanties appropriées pour protéger l’indépendance des médias, la publicité d’État peut être utilisée pour exercer une pression politique indirecte sur les médias. Des règles transparentes et des critères équitables pour l’attribution de marchés publics dans le domaine de la publicité peuvent atténuer les risques dans ce domaine. Il peut notamment être utile, à cet égard, de créer des registres de marchés accessibles au public, qui contiennent des informations sur les marchés attribués et leurs modifications ([125]).
Cet appel de la Commission européenne aux États membres à apporter un soutien accru aux médias fait écho à la demande de la France d’une adaptation du cadre des aides d’État afin de faciliter le soutien public au secteur des médias et en particulier de faciliter les aides à la presse. Il est en effet indispensable que les autorités publiques soient en capacité d’apporter le soutien financier nécessaire à tous les acteurs du secteur particulièrement fragilisés par la crise.
Dans son plan d’action pour la démocratie européenne ([126]), la Commission souligne ainsi que les attaques, l’application abusive des lois sur la diffamation ainsi que d’autres formes d’intimidation et de pression, notamment de la part du grand banditisme, portent atteinte à l’environnement dans lequel les journalistes travaillent.
Elle relève que de nouvelles violations de la liberté des médias ont été commises ([127]), parfois au nom de la lutte contre la désinformation en ligne. En 2020, selon « Reporters sans frontières » ([128]), 90 pays au monde, y compris certains États membres de l’Union européenne et certains pays du voisinage européen, ont imposé des restrictions à la liberté des médias en prenant la COVID-19 comme prétexte.
Proposition 5. Un allègement rapide des règles en matière d’aides d’État devrait être possible en situation de crise dans le but de soutenir le secteur de la presse, essentiel à la préservation de l’État de droit.
CONCLUSION
Comme l’indique la Commission européenne, « l’État de droit est un élément important de la préparation aux périodes de crise » ([129]). Ces dernières en mettent aussi à l’épreuve les caractéristiques fondamentales. Toutefois, la crise sanitaire n’a pas créé, d’après l’analyse de vos rapporteurs, des situations nouvelles au regard de l’État de droit au sein de l’Union européenne, mais semble plutôt avoir amplifié les tendances déjà à l’œuvre.
Au regard des quatre critères de compatibilité des mesures de réponses à la crise avec l’État de droit, aucun État membre n’a eu une réaction idéale, respectant à la fois l’objectif d’efficacité dans la lutte contre l’épidémie et de respect absolu des critères de l’État de droit. Une grande « résilience » générale a au contraire pu être observée dans une importante majorité d’États membres. Certaines conclusions plus précises peuvent toutefois être dressées :
– s’agissant de la légalité, les bases juridiques auxquelles les États membres ont décidé de recourir ont été discutées dans plusieurs États membres, dont la France ([130]). Certains États membres, comme la Pologne, ont été soupçonnés de privilégier le cadre juridique leur offrant le plus de latitude et, par ailleurs, favorable au contexte politique. En outre, la résolution du Parlement européen du 13 novembre 2020 souligne que certains États membres ont recouru de manière disproportionnée à des mesures répressives pour faire respecter les restrictions, notamment par la pénalisation pour non-respect des règles concernant le confinement et par des quarantaines donnant lieu à des amendes élevées et à une longue durée de conservation des antécédents judiciaires ;
– concernant l’indépendance et l’impartialité des juridictions, le fonctionnement du service public de la Justice a également pu être altéré, de façon temporaire et, le plus souvent, mesurée. Les fragilités inhérentes aux systèmes judiciaires (notamment en Hongrie et en Pologne) étaient, le plus souvent, antérieures au déclenchement de l’épidémie ;
– s’agissant de l’égalité devant la loi, les entorses qui ont pu être déplorées (par exemple concernant les droits des personnes LGBTI en Pologne) étaient indépendantes de la crise sanitaire ;
– enfin, l’équilibre des pouvoirs et l’influence des contre-pouvoirs constituent sans doute les dimensions les plus problématiques des réponses à la crise au sein de l’Union européenne. Cette situation inquiétante découle d’abord de la dévolution des pouvoirs du législatif vers l’exécutif, avec une capacité de contrôle parlementaire réduite. Elle résulte également de l’exercice plus compliqué de l’activité des médias et journalistes.
Enfin, si, dans les États membres où le respect de l’État de droit était déjà fragilisé, les réponses apportées à la crise n’ont fait que révélé ces faiblesses. En outre, la décision du tribunal constitutionnel polonais du 7 octobre 2021 ([131]) montre que ce sujet central de l’État de droit n’est pas directement lié à la crise mais continuera à exister dans le débat public européen. C’est pourquoi il importe que les institutions européennes disposent d’un cadre juridique clair pour agir, dans le respect des traités, en vue de préserver les valeurs de l’État de droit.
La crise a également pu révéler de bonnes pratiques qu’il faudra prolonger pour faire face aux nouveaux événements devant amener des réactions d’urgence. À titre d’exemple, en Allemagne, le renforcement des pouvoirs de l’exécutif s’est accompagné de débats nourris sur l’État de droit dans le pays. En Estonie, la presse a effectué un travail remarquable en accordant autant d’articles au monde politique qu’aux syndicats et la société civile. Une partie non négligeable de la population s’est donc sentie écoutée.