
MISE À JOUR EXTRAIT DE LA TRIBUNE DU 18 janvier
« Qui paiera la facture d’électricité des TPE ? Dans les coulisses du bras de fer entre l’Etat et les fournisseurs
« Exclusif. Début janvier, pour sauver les 600.000 très petites entreprises (TPE) qui consomment beaucoup d’électricité, le gouvernement a garanti aux boulangers, restaurateurs et autres artisans, un tarif de l’électricité en 2023 à 280 euros par mégawattheure en moyenne. Alors que le « partage des coûts » de cette mesure était évoqué avec les fournisseurs, un projet de décret que La Tribune a pu consulter montre que l’Etat est prêt à payer l’essentiel de la facture.
Ultimatum, tractations
« Des courriers envoyés aux fournisseurs mettent en lumière la manière dont le gouvernement tente de leur arracher un geste pour pouvoir afficher un partage de l’effort
« Ultimatum, tractations : plongée dans les coulisses des discussions entre l’Etat et les fournisseurs d’électricité. »
…/…
LE SUJET DES SURPROFITS ET DES TARIFS DE L’ÉLECTRICITÉ EN EXEMPLE
L’ambiguïté puis le renoncement ont guidé – pour ainsi dire – l’exécutif sur les SURPROFITS comme sur la tarification électrique. Dans les deux cas après des annonces, l’exécutif a renoncé à taxer les SURPROFITS – a l’exception de la réglementation européenne minimale – et à renoncer à revenir à un prix de l’électricité proche des coûts.
Et – en même temps et hors de l’Etat de droit cadre légal d’une fiscalité appropriée – il négocie ou impose par le troc des efforts en compensation des surprofits : le tarif de l’essence de TOTAL, la tarification des actes aux laboratoires …
Évoquant l’attitude du ministre de l’économie, l’article proposé permet de lire : « En cette période de forte turbulence économique, le ministre se fait remarquer par sa tendance à faire des « demandes », des « appels », des « invitations » aux entreprises, plutôt que forcer les choses »
En attendant, une part des surprofits – taxés par l’impôt de base et la taxe européenne – alimente le budget de l’Etat ( sans que l’exécutif accepte d’en parler et de donner le montant).l
Les particuliers et entreprises sont pénalisés par les tarifs et une fiscalité qui pourrait être modérée par une recette fiscale sur les surprofits. Peut être l’exécutif finira par revenir sur une fiscalité complémentaire et par sortir de la réglementation européenne des prix de l’électricité qu’il a soutenu il y a quelques jours encore.
ARTICLE
Pourquoi Bruno Le Maire préfère « demander » aux patrons, plutôt que leur forcer la main
Jean-Loup Delmas. Publié le 06/01/23 20 MINUTES
- Le 3 janvier, Bruno Le Maire a demandé aux fournisseurs d’électricité d’augmenter leur soutien envers les boulangers, profession particulièrement touchée par la crise énergétique.
- Le ministre de l’Economie est coutumier du fait, préférant généralement la demande polie à l’ordre ou au décret.
- Pourquoi, en cette période particulièrement dure économiquement, choisir une telle méthode de négociation ?
A l’Assemblée nationale, ses opposants l’ont surnommé ironiquement « Bruno demande ». Depuis qu’il occupe Bercy, Bruno Le Maire se fait remarquer pour sa tendance à préférer suggérer des actions aux chefs d’entreprise, plutôt que leur imposer, en sa qualité de ministre de l’Economie. Entre janvier 2020 et janvier 2022, l’homme politique a ainsi demandé cinq fois aux entreprises de bien vouloir augmenter les salaires.
Mais ce n’est pas tout. En mars 2020, Bruno Le Maire invitait les enseignes de la grande distribution à faire leurs achats auprès des agriculteurs français, par patriotisme économique. Quelques jours plus tard, en avril, il appelait les entreprises « à une modération des dividendes » en période de confinement. On le retrouvait en octobre 2021, demandant à Renault d’être « à la hauteur de ses responsabilités » pour les salariés de la fonderie SAM, à la recherche d’un repreneur. Janvier 2022, il exprimait « le souhait » du gouvernement qu’EDF continue à vendre son électricité à bras prix. Juin, il incitait le président de Total de faire à « nouveau un effort car le prix du carburant reste très élevé ». Liste non exhaustive, qui se poursuit le 3 janvier, le ministre demandant le soutien des fournisseurs d’électricité pour les boulangers.
Libéralisme assumé
Sur Twitter, le conseiller parlementaire, François Malaussena (Nupes), s’est amusé à les compiler dans un thread. Il explique à 20 Minutes : « Beaucoup trop d’articles de presse se contentent de répéter « Bruno le Maire a demandé que les salaires augmentent », sans rappeler qu’il le fait chaque mois sans effet. En début d’année, cela virait à la caricature, c’était quasiment mensuel ! A cause de ses demandes, on a jamais vraiment de mise en lumière de son bilan. C’est pour ça que j’ai créé ce fil. »
Mais alors pourquoi Bruno Le Maire demande-t-il toujours d’agir, au lieu de contraindre à la prise de mesures ? Tout d’abord par philosophie économique. Philippe Moreau-Chevrolet, professeur de communication politique à Sciences Po, le rappelle : le ministre fait partie de la droite du gouvernement Macron et se revendique comme un libéral. Un courant s’opposant à l’intervention de l’Etat, les secteurs économiques étant censés s’autoréguler d’eux-mêmes. Par conséquent, il est cohérent pour le locataire de Bercy de suggérer, plutôt que d’intervenir.
Le paraître plus que les actions
Problème, le monde ressort de deux ans de pandémie mondiale, « où les politiques ont montré qu’ils avaient la main, notamment sur l’économie et qu’ils pouvaient la contraindre. Partout, ils l’ont ralentie, pour des raisons sanitaires », indique Stéphane Rozès, politologue et auteur de Chaos – Essai sur les imaginaires des peuples (Éditions du Cerf, 2022). Après une pareille séquence interventionniste, « il est difficile de voir le ministre faire des suppliques aux chefs d’entreprise », poursuit le spécialiste, au lieu d’opter pour le passage en force.
Appeler les entreprises ou les grands groupes à agir demeure néanmoins bien plus facile et rapide que les contraindre par une loi ou un décret. Simplifier ainsi ses actions « permet à Bruno Le Maire de s’imposer comme un Premier ministre bis, sans en avoir les capacités politiques, en multipliant les dossiers, et en court-circuitant Elisabeth Borne. Le ministre tente d’étendre sa stature pour s’imposer comme un décideur, plutôt que comme un collaborateur », rappelle Philippe Moreau-Chevrolet.
Demandes concluantes
Dernier bienfait, s’exonérer des responsabilités. « Avec ces suppliques, les gouvernants tentent de reporter les conséquences de leurs inactions sur les acteurs économiques », dénonce Stéphane Rozès. Constat similaire chez Philippe Moreau-Chevrolet : « Il est tentant pour le politique, dans une période d’incertitude, de ne pas agir plutôt que de mal agir. » Attention néanmoins, car le retour de bâton pourrait être brutal : « En cas de crise majeure, les Français se retourneront contre les gouvernants et leur demanderont des comptes à eux et non aux chefs d’entreprise », conclut Stéphane Rozès.
https://www.ultimedia.com/deliver/generic/iframe/mdtk/01357940/zone/1/src/q3xvxrf/showtitle/1/
On se moque, on se moque, mais parfois, les « demandes » aboutissent. Succès parmi tant d’autres, en novembre 2020, lorsque en plein deuxième confinement, Bruno Le Maire avait demandé aux distributeurs de reporter le Black Friday afin de ne pas sanctionner les petits commerces qui ne pouvaient ouvrir à ce moment. La date des prix cassés avait bel et bien été décalée après le déconfinement. Reste que les appels du pied de Bruno Le Maire aboutissent rarement, la preuve notamment avec les salaires. Dans ce cas, « il donne le sentiment d’impuissance du politique, qui produit un effet comique et ridicule », déplore Philippe Moreau-Chevrolet.
L’impuissance du politique
Mais même s’il voulait agir et moins suggérer, Bruno Le Maire le pourrait-il vraiment ? « Les grands groupes sont en partie internationalisés, et l’Etat n’a pas vraiment de capacité de pression ou d’action. La marge de manœuvre s’est considérablement réduite pour les politiques », note Benjamin Morel, docteur en Sciences politiques à l’ENS. L’expert poursuit : « Le marché est également régi par de nombreuses lois européennes, entraînant des sanctions, et un hypothétique passage en force serait paradoxal avec un président qui se veut le héraut de la construction européenne. »
Pas de quoi convaincre François Malaussena : « Il est ministre, il peut faire tout ce que la loi lui permet, et si la loi ne lui permet pas, avec l’accord de Borne et de Macron, il peut proposer de la changer. S’il veut sanctionner des entreprises, c’est possible. Les nationaliser, c’est possible. Même désobéir à l’Union européenne : l’Etat le fait déjà quotidiennement sur de nombreux sujets, même si bien sûr il ne le dit pas trop fort. »
Un procédé dangereux à terme ?
Voulue ou subie, cette impuissance n’est pas sans conséquence, et en pleine crise économique, renforce la crise de confiance dans le politique. Benjamin Morel insiste : « Le sentiment que le politique ne peut contraindre les entreprises participe à la crise de la représentation, qui est une crise de »l’agir efficacement au nom du peuple » sur le réel. Si l’Etat dit »On ne peut pas l’imposer, mais j’inviterai fortement à le faire », il y a le risque de montrer la non-puissance et l’incapacité du politique. » Ce qui peut encore plus, dans une période de turbulence, échauder la population, avertit Stéphane Rozès. « Les Français attendent des gouvernants de reprendre la main sur la maîtrise de leur destin, que l’Etat soit responsable et se remette au service de la nation. On ne feinte pas avec les peuples. »