
LA « PAPERASSERIE », SPÉCIFICITÉ FRANÇAISE
Infirmières, maires ruraux, policiers… Les agents publics disent n’en plus pouvoir du poids de la « paperasserie ». Le politologue revient sur les raisons et les effets de cette spécificité française.
ENTRETIEN EXTRAIT
Jérôme Fourquet : « La maladie bureaucratique fait peser sur la société le poids d’un énorme boulet »
L’EXPRESS 17 MAI. Propos recueillis par Anne Rosencher et Etienne Girard
On ne présente plus Jérôme Fourquet. Son nom vient désormais ce accroché par une virgule à « l’auteur de L’Archipel français » ou, variante, « l’auteur de La France sous nos yeux » (avec Jean-Laurent Cassely). Deux essais – deux best-sellers – publiés aux éditions du Seuil, qui ont installé le politologue, directeur du département opinion publique de l’Ifop, comme l’un des meilleurs observateurs de notre société. Pour L’Express, il revient longuement sur les origines lointaines et récentes de la bureaucratie française, sur son ampleur, ses conséquences dans les services publics, ou le rôle qu’elle joue dans le déclassement français. Un entretien décapant.
L’Express : Quelle est l’ampleur du « problème bureaucratique » qui pèse sur nos services publics et sur la motivation de ses agents ?
Ce poids n’est bien sûr pas facile à quantifier ou à chiffrer. Mais quand, à l’Ifop, nous donnons des coups de sonde dans les différents groupes sociaux, nous voyons revenir très souvent cette question des normes, des procédures, de la paperasse, du contrôle et autres « process » qui, petit à petit, grignotent les motivations, découragent les bonnes volontés, et dévitalisent le sens même du travail dans de nombreuses corporations. Infirmières, maires ruraux, policiers… Typiquement, les trois fonctions sur lesquelles vous avez enquêté relèvent de la vocation, voire de la passion. Et on leur coupe les pattes avec toute cette paperasse et ces procédures ! Cette perte de temps et de motivation a de nombreux effets, encore une fois, difficiles à quantifier. Mais, étant donné l’importance de notre Administration, et attendu qu’elle interfère dans à peu près tout, le fait qu’elle soit profondément atteinte de la maladie bureaucratique fait peser sur toute la société le poids d’un énorme boulet. Cela coupe les envies, et ralentit tout. Bien sûr, il y a un coût économique et financier réel, mais pas seulement…
C’est-à-dire ?
Eh bien, la perte de motivation n’a pas qu’une traduction sonnante et trébuchante. Le maire rural qui renonce à un projet face à la montagne d’acronymes à surmonter, ou face au nombre de bureaux à la porte desquels aller toquer, ça n’est pas qu’une perte d’activité économique, mais aussi du bien-être en moins …
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