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Le non-recours au RSA : une discrétion qui arrange bien le gouvernement
Selon des estimations, ce sont chaque année plusieurs milliards d’euros que l’Etat économise quand des personnes en précarité renoncent à faire valoir leurs droits. Le nouveau projet de loi ne fera que stigmatiser davantage cette catégorie sociale.
par Dov Alfon. LIBÉRATION
C’est un des phénomènes les plus injustes de notre société : le «non-recours». La Drees le qualifiait en mars 2022 de «phénomène d’ampleur qui peine à susciter le débat», et il en est de même aujourd’hui : plus de 30 % des Français ayant droit au revenu de solidarité active, le RSA, ne le demandent pas. Pourquoi, alors que l’inflation bat des records et qu’un Français sur six avoue économiser sur son alimentation ?Quelquefois par méconnaissance, quelquefois par appréhension des démarches à accomplir, la plupart par crainte de leur stigmatisation par la société. Or, cette réticence est une aubaine pour Bercy, alors que les finances publiques sont confrontées à une hausse inquiétante de leur déficit. Le secret est bien tenu : il est impossible de savoir exactement combien le gouvernement économise grâce au non-recours. Voici tout de même un chiffre qui démontre l’ampleur de la manœuvre : en 2018, d’après des chiffres de la Drees, les sommes non versées auraient atteint 3 milliards d’euros par an.
En comparant la France à d’autres pays européens, la Drees pointait comme un facteur important de non-recours «la place prise par la fraude sociale dans le débat public». Autrement dit, à chaque fois que l’exécutif met en avant de possibles malversations des bénéficiaires des aides sociales, il pousse les plus précaires à y renoncer. Les fraudes concernent moins de 1 % des bénéficiaires, comme le prouvent bon an mal an les nombreux contrôles, mais en termes électoraux, sortir ce serpent de mer peut valoir pas mal de points. Pour cette nouvelle apparition, c’est un durcissement des conditions d’accès, soumises à quinze à vingt heures d’activité par semaine, que défend Emmanuel Macron.
Notre enquête démontre que ce projet de loi, qui devrait être présenté en conseil des ministres début juin, est tout aussi bancal que la précédente grande idée de ce quinquennat, la réforme des retraites : dans les départements où il est testé, chacun part de son côté et se retrouve avec le même manque de moyens et besoin de recrutement des nouveaux fonctionnaires qui rendraient possible cet encadrement. Mais les nombreuses déclarations à ce sujet suffisent pour que des centaines de milliers de Français préfèrent ne pas manger à leur faim plutôt que de demander une aide à laquelle ils ont droit.