
VOIR PARTIE 1 : QUAND LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL NE RESPECTE PAS L’ÉTAT DE DROIT (1/4). https://metahodos.fr/2022/11/14/quand-le-conseil-constitutionnel-ne-respecte-pas-la-constitution-partie-1/
QUAND LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL …
PARTIE 2
IV – LA PÉRIODE DE 2001 À CE JOUR: LE GRAND JEU
A – La lettre de Mme Florence Parly:
Mme Florence Parly poursuit ainsi:
TEXTE 4: EXTRAIT DE LA LETTRE DE MADAME FLORENCE PARLY, SECRÉTAIRE D’ETAT AU BUDGET DANS LE GOUVERNEMENT JOSPIN
La rémunération des membres et du président du Conseil constitutionnel est /à compter du 1er janvier 2001/ complétée, d’une indemnité fixée par référence au régime indemnitaire des hauts fonctionnaires, dont les emplois relèvent des catégories visées à l’article 6 de l’ordonnance du 7 novembre 1958 relative au Conseil constitutionnel. Le montant brut annuel de cette rémunération s’élèvera en conséquence à 954 017 francs pour le président et à 833 357 francs pour les membres…
On ne s’appesantira pas sur le problème que pose la (brève) rétroactivité de la décision, En réalité, la lettre revient certes à l’indemnité constitutionnelle prévue par l’ordonnance de 1958, mais en la complétant d’une autre indemnité de fonction à la discrétion du Gouvernement. D’autre part, on remarquera la haute flexibilité de cette référence, qui laisse en réalité le pouvoir à peu près libre de déterminer comme il l’entend la rémunération des « Sages ».
C’est d’ailleurs ce qu’il fait en fixant à compter du 1er janvier 2001 à F 954 017 (soit la contre-valeur de € 145 439) l’indemnité annuelle du président et à F 833 357 (soit la contre-valeur de € 127 044) celle également annuelle des autres membres. En contrepartie de ce vigoureux coup de pouce, qui répond à la revendication des Sages de voir leur rémunération fortement réajustée, leurs indemnités rejoignent en droit fiscal le régime de droit commun des traitements et pensions. Il est vrai que, par rapport aux rémunérations antérieures, l’Observatoire de l’Éthique Publique, qui a fini par obtenir de haute lutte les bulletins de paye nécessaires, note que la revalorisation pour un membre fait un bond en brut mensuel de € 6 968 à € 10 951, soit un gain mensuel de € 3 983 (= 10 951 – 6 968) et une poussée de 57%, ce qui dédommage fort généreusement les Sages de l’abandon de leur ancien avantage fiscal.
On observera quand même que le montant de € 10 951 diffère quelque peu des € 10 587 (= 127 044/12) résultant de la conversion mensuelle en euros du montant de la lettre « Parly » et que l’écart excède nettement les deux revalorisations du point d’indice intervenues en 2001. Ceci confirme une nouvelle fois le caractère inévitablement approximatif de toutes les reconstitutions que l’on peut tenter d’opérer de l’extérieur dans ce qui fait incontestablement partie des » zones grises de la République ».
B – Les alertes
Très curieusement, bien qu’il enjambât à nouveau l’exigence de loi organique, le nouveau régime ne provoqua pas la moindre observation ou réserve de la part de ses bénéficiaires. Il ne suscita pas non plus dans l’immédiat les mêmes levées de boucliers que son prédécesseur, mais il est vrai que le défaut de publication aidait au maintien prolongé de ce qui s’apparentait à une sorte de secret-défense. Il fallut en effet attendre 18 ans avant qu’un député, en relation avec l’Observatoire d’Éthique Publique, Monsieur Régis Juanico, interpelle publiquement le ministre de l’Économie afin de connaître le montant brut annuel de la rémunération allouée tant aux membres qu’au président du Conseil constitutionnel au titre de l’année 2000. Le but était évidemment de pouvoir comparer la nouvelle rémunération avec l’ancienne, afin d’apprécier l’importance de l’augmentation intervenue.
Comme à son habitude, le Gouvernement botta en touche en indiquant un total collectif de € 1,848 million d’euros pour l’ensemble des rémunérations des membres et du président du Conseil constitutionnel, charges sociales incluses, inscrites en annexe du projet de loi de finances pour … 2019. Naturellement cette réponse décalée et « globalisée » était pratiquement inexploitable, surtout que le ministre s’abstenait à dessein de préciser si les charges sociales en cause étaient des charges salariales, des charges patronales ou les deux à la fois. Nullement rebuté par cette quasi-fin de non-recevoir, on a vu comment l’Observatoire de l’éthique publique avait fini par contraindre le Conseil constitutionnel à fournir la communication souhaitée.
Et c’est sans doute en raison de sa surprise au vu de l’importance de l’augmentation concédée, que l’Observatoire décida de poursuivre plus avant ses investigations pour vérifier soigneusement son fondement juridique. Entre 2018 et ce jour, l’Observatoire publia par l’intermédiaire de ses sympathisants et de ses collaborateurs une série d’articles, dont les derniers concluaient tous et fort
clairement à l’inconstitutionnalité de l’augmentation accordée.
C –La discussion
Sans s’égarer dans des raisonnements juridiques complexes, la contestation de la lettre de Madame Florence Parly, non publiée, tient tout simplement à ce qu’elle n’a évidemment pas le caractère de loi organique, qu’exige pourtant expressément
l’article 63 de la Constitution afin de modifier la rémunération des membres et du président du Conseil constitutionnel. Rien ne sert donc de l’examiner plus avant, puisqu’ elle est irrémédiablement défaillante en la forme et parfaitement muette quant à toute autre justification au fond. Partant de là, ladite lettre n’a absolument aucune valeur juridique. Tous les très substantiels avantages généreusement accordés aux Sages sur ces vingt dernières années l’ont donc été sur une base strictement illégale et – ce qui est pire encore pour l’image du Conseil – rigoureusement inconstitutionnelle.
C’est d’ailleurs la raison pour laquelle, dès que les alertes se firent plus pressantes, le Conseil se rapprocha du Gouvernement pour tenter de régulariser d’urgence la situation. Dans la panique et en profitant de la réforme des retraites en cours, le Gouvernement saisit alors le premier projet de loi organique à sa portée, ce qui confirme implicitement qu’entretemps la décision ministérielle du 16 mars 2001 n’avait jamais reçu le moindre soutien organique. Il est vrai que, courant du 1er janvier 2001 au 30 juin 2020 (borne de notre étude, mais pas de l’abus qui se poursuit aujourd’hui encore…) soit sur 19,5 années, le total dérangeant des sommes en cause excède de beaucoup pour le Trésor le coût pendant 41 ans du super-abattement fiscal précédemment abandonné,
D – L’évaluation
Il s’agit d’estimer avec les chiffres d’aujourd’hui l’ordre de grandeur des avantages consentis à chaque magistrat, y compris au président, puis de cerner pour l’ensemble du Conseil en euros courants, de la période de janvier 2001 à juin 2020 le cumul estimé des majorations de dépenses du Trésor sur les 19,5 années qui séparent la date d’effet de la lettre ministérielle. On ajoutera à l’effectif des magistrats désignés (9), le seul mandat (1) continu de M. Valéry Giscard d’Estaing, membre de droit en sa qualité d’ancien président de la République qui a commencé à siéger dès mai 1981. Par souci de simplification, on ne retiendra pas en effet les participations relativement brèves des autres présidents de la République, la plupart rapidement démissionnaires. Le préambule méthodologique des annexes qui suivent signale suffisamment les précautions prises et les réserves exprimées pour qu’il ne soit pas besoin de les reproduire ici.
Rappelons qu’il s’agit simplement de rechercher à partir des seules données publiées disponibles et sur près de 20 années l’ordre de grandeur en euros des avantages attribués à chaque magistrat, ainsi qu’aux présidents, au titre du surplus existant entre leur rémunération effective et le traitement indiciaire prévu par l’article 6 de l’ordonnance du 7 novembre 1958.
On s’aperçoit qu’en fonction des éléments actuellement connus, toute reconstitution même entreprise le plus sérieusement du monde comporte une part de choix, de navigation et d’approximation et ce sont sans doute ces aléas qui ont dissuadé d’autres recherches de s’aventurer sur le terrain risqué de l’évaluation financière, pourtant indispensable à l’information du législateur comme du citoyen.
Néanmoins et malgré toutes ces réserves, on peut considérer comme acquis que le préjudice pour le Trésor est important, puisqu’il est de l’ordre de 16 millions d’euros courants pour le brut des indemnités supplémentaires allouées, pratiquement 20 millions d’euros courants si on y rajoute les charges patronales (cf. annexe 2) même si la fiscalisation complète de la nouvelle prime permettra en aval à l’État de récupérer chez chacun des bénéficiaires une partie des sommes indûment payées. Il n’en reste pas moins que ces montants sont tout sauf négligeables au plan des chiffres. Ils sont en outre ravageurs au regard des principes en posant au plus haut niveau de cruelles questions sur la transparence et la régularité de notre vie publique.
E – L’article 4 du projet de loi organique sur le système universel de retraite
On comprend volontiers que l’importance des sommes en cause, vis-à-vis desquelles l’Exécutif a dû pousser ses propres calculs en se gardant bien de les communiquer, mette en alerte le sommet de l’État et le presse de trouver promptement via le Parlement un accord avec le Conseil constitutionnel. Mais on sait aussi que toute modification de l’article 6 de l’ordonnance de 1958 ne peut passer que par une loi organique. Profitant de la réforme des retraites, comme on l’a vu, le Gouvernement a glissé subrepticement dans son projet de loi organique relatif au système universel des retraites – et donc qui n’avait strictement rien à voir avec les rémunérations des membres du Conseil constitutionnel – la disposition qui suit:
TEXTE 5: ARTICLE 4 DU PROJET DE LOI ORGANIQUE RELATIF AU SYSTÈME UNIVERSEL DE RETRAITE
1 – L’article 6 de l’ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel
est ainsi rédigé:
« Art.6.-Le Président et les autres membres du Conseil constitutionnel perçoivent une rémunération égale au traitement afférent respectivement aux deux premiers groupes supérieurs des emplois de l’Etat classés hors échelle, complétée par une indemnité de fonction dont le montant est fixé par arrêté du Premier ministre et du ministre chargé du Budget ».
Il s’agit manifestement de faire passer à la sauvette une réforme pour l’avenir des rémunérations des membres du Conseil constitutionnel, en l’attelant de force au train de la réforme du système universel des retraites. Pour l’instant le projet a été adopté le 5 mars dernier en première lecture par l’Assemblée Nationale. Inutile de dire que cette disposition devrait rapidement interpeller les sénateurs, dés qu’ils se saisiront du texte, pour peu que le Gouvernement entende maintenir un projet fort mal parti et assez mal ficelé. Et même si la majorité au pouvoir à l’Assemblée parvient en définitive à imposer sa volonté, nul doute que ce texte sera contesté … devant le Conseil constitutionnel qui s’en saisira de plein droit, puisqu’il il s’agit d’une loi organique.
Il se trouvera certes en plein conflit d’intérêts (mais notre Constitution n’a cure de pareilles vétilles) avec le choix soit en sacrifiant ainsi le sort de sa propre rémunération d’interdire à un projet de loi organique de colporter des dispositions étrangères à son objet, soit de valider au contraire cette dernière en couvrant ce qui ressemble fort à une embrouille, à une incohérence ou à un passage en force. On rappellera en effet et en tant que de besoin que le 28 juillet 2016, par une décision N° 2016-732 DC, le Conseil avait formellement censuré une disposition « ne présentant pas de liens, même indirects, avec les dispositions du projet de loi organique déposé sur le bureau de l’Assemblée Nationale ». De toute manière, pour l’instant et alors que le projet respecte encore le caractère non rétroactif de la loi, on ne voit pas comment en l’état actuel des textes, le Conseil pourrait échapper au moins dans le cadre de la prescription à la remise en cause d’un avantage mal né et qui a fortement préjudicié aux intérêts du Trésor.
En effet, toute imparfaite et contestable qu’elle soit, la nouvelle rédaction proposée par le projet de loi organique porte en elle l’aveu implicite que les dispositions actuellement en vigueur ne sont pas conformes à la Constitution, sans pourtant que la moindre conséquence financière que de droit ait été encore tirée de cet imbroglio désormais patent et officiel depuis rien moins qu’… un semestre. En outre, la réforme proposée déclasse pour l’avenir en simple arrêté ministériel conjoint (Premier ministre + ministre du Budget) une décision qui relève normalement de la loi organique. Comme on le voit, ce qui vient de se passer en 60 ans, soit pratiquement dès la création du Conseil constitutionnel, pose à tous les niveaux de très sérieux problèmes.
…/..,
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