
BILLET
Certains lecteurs de METAHODOS se sont interrogés sur la pertinence des études internationales. Nous y répondons en partie ci contre, et restons ouverts aux échanges.
La démocratie suisse très bien classée s’inquiète toutefois d’une légère dégradation ?
Difficile de dire qui a la meilleure démocratie au monde. La suisse est très bien classée par les trois principaux instituts, malgré des différences d’appréciation sur certains points qui modifient légèrement les classements.
La Suisse, avec ses votations fréquentes et ses initiatives populaires, enregistre sa plus mauvaise performance justement dans cette catégorie «participation» – une des cinq qui constituent l’indice de l’EIU, avec les processus électoraux, le fonctionnement du gouvernement, la culture politique et les libertés civiles.
Avec un score de 7,78 en participation, la Suisse devance légèrement les Etats-Unis, mais reste loin de la Norvège, championne incontestée avec une note parfaite de 10. Au classement général, la Norvège est également en tête, suivie de l’Islande et de la Suède. La Suisse perd un rang et se retrouve 10e, alors que les Etats-Unis sont 25e.
Cette baisse de la Suisse dans les dernières années est surtout due aux faibles taux de participation aux scrutins, explique Danielle Haralambous, analyste en chef à l’EIU pour le Royaume-Uni et l’Europe.
Bien que le pays obtienne de bons résultats sur de nombreux aspects de la participation politique, des femmes au Parlement à l’inclusion des minorités, la «fatigue des votants» due à de si nombreuses consultations (sur des sujets souvent complexes) l’a conduit à prendre du retard sur d’autres pays qui continuent à s’améliorer sur ce front, note l’analyste.
En deux mots, alors que ses instruments de démocratie directe font monter le score de la Suisse, le manque d’engagement lors des votes le tire vers le bas.
La méthodologie de l’EIU est trompeuse, en tous cas pour la Suisse. il est delicat de comparer des pays comme la Suisse – où les gens votent généralement quatre fois par année, le plus souvent sur plusieurs sujets – et d’autres comme la Suède, par exemple, où les citoyens ne sont appelés aux urnes qu’une fois en quelques années.
En effet, bien que la participation électorale moyenne en Suisse soit relativement basse (moins de 50% pour les votes nationaux), la plupart des experts s’accordent à dire que ceci reflète la fréquence et la complexité des objets présentés. Mais cette faible participation ne nuit pas à la qualité démocratique des résultats.
D’autres indices, qui adoptent une approche plus large pour mesurer la performance démocratique, donnent d’autres classements. C’est notamment le cas de celui de l’Institut suédois V-Dem, où la Suisse est 4e, ou de la Fondation Bertelsmann, qui la classe 6e.
La France mal classée s’inquiète bien moins !
La France quant à elle, classée 24°, 29 ou 37° devrait en tirer les leçons et chercher les remèdes. Les critères des instituts peuvent y aider, si l’examen des réalités ne suffit pas.
Certes, les critères sont prfois differents et conduisent à des evaluations chiffrées éloignées, mais globalement le positionnement des pays est claiur.
Voir notre publication: https://metahodos.fr/2020/08/30/la-france-classee-24eme-29eme-ou-37eme-pour-sa-democratie-et-sa-gouvernance/
Nous vous proposons, comme une leçon de modestie démocratique et de volonté démocratique, un article sur la manière dont les suisses analysent la situation.
ARTICLE
Peut-on mesurer la démocratie?
Bruno Kaufmann SWISSINFO
«Tout ce qui peut être compté ne compte pas forcément, et ce qui compte ne peut pas toujours être compté.» Albert Einstein
La Suisse est une «démocratie en déclin», rapporte l’institut de recherche Freedom House, basé à Washington, dans son rapport 2020. La raison de cette évaluation critique: «le droit de vote d’une grande partie de la population est limité et les musulmans sont confrontés à une discrimination de droit et de fait.»
L’Economist Intelligence Unit, organisme qui établit un autre classement des démocraties bien connu, fournit une évaluation similaire de la démocratie suisse mais pour une raison différente: la «faible participation électorale». Les chercheurs basés à Londres – qui évaluent 60 critères différents, du fonctionnement du gouvernement aux droits civiques – notent que le recul tant annoncé de la démocratie au niveau mondial a été stoppé cette année grâce à une participation politique accrue.
Pour un pays comme la Suisse, qui a connu la première révolution démocratique réussie en Europe en 1848 et qui a longtemps été un îlot libéral sur un continent monarchique, ces évaluations critiques provenant de chercheurs internationaux peuvent constituer un signal d’alarme salutaire, déclare Roger de Weck. Cet auteur et journaliste a publié en début d’année un ouvrage exposant douze propositions pour rendre la démocratie suisse plus démocratique.
La Suisse n’est bien sûr pas la seule à avoir besoin d’un examen de démocratie, d’autant plus que la pandémie de Covid-19 pose un nouveau défi aux sociétés libres. Mais comment peut-on réaliser un bilan de santé démocratique de manière équitable et transparente?
David Altman est professeur de sciences politiques à l’Université catholique de Santiago du Chili et auteur du livre «Citizenship and Contemporary Direct Democracy» («citoyenneté et démocratie directe contemporaine») paru en 2019. Il suit depuis de nombreuses années les démarches pour mesurer la démocratie: «Nous constatons un retour à l’expertise scientifique et aux évaluations fondées sur des preuves», déclare-t-il. Le spécialiste est aussi l’un des architectes du projet de recherche Varieties of Democracy («les variétés de la démocratie») ou V-Dem, la plus vaste initiative de collecte de données au monde visant à conceptualiser et à mesurer la démocratie.
V-Dem propose une nouvelle approche dans ce domaine: «Nous employons 170 coordinateurs nationaux et 3000 experts, qui compilent et comparent plus de 350 indicateurs différents», explique Anna Lührmann, directrice adjointe de V-Dem, basée à l’université de Göteborg en Suède. Et contrairement à d’autres projets similaires, leurs statistiques sont accessibles: «Nos ensembles de données sont ouverts et transparents pour tous, et peuvent être utilisés comme des briques Lego pour construire vos recherches ou vos analyses», explique-t-elle. De fait, l’ensemble de données ouvert de V-Dem est utilisé par un réseau croissant d’organisations internationales telles que la Banque mondiale, la Communauté des démocraties et l’Institut international pour la démocratie et l’assistance électorale (IDEA).
Le groupe basé à Göteborg publie également son propre rapport annuel et utilise les données pour des rapports de situation spécifiques comme le «Pandemic Backsliding Risk Index», qui mesure le risque de recul démocratique qui pourrait résulter de la pandémie de Covid-19.
Des mesures sans biais?
Malgré les limites et toutes les difficultés à conceptualiser et mesurer le pouvoir des peuples dans le monde, les résultats de ces évaluations sont importants. «Des milliards sont dépensés chaque année pour promouvoir la démocratie, tant au niveau national qu’international», déclare Anna Lührmann de V-Dem. «Ces investissements dépendent des jugements portés sur la situation actuelle d’un pays et ses perspectives d’avenir. C’est pourquoi nous avons besoin de moyens appropriés pour mesurer la démocratie.»
Dans le cas de la Suisse, c’est même d’une importance capitale car soutenir la démocratie dans le monde entier est un devoir constitutionnel.
Quoi de neuf, docteur?
Pour ce qui est du diagnostic: en dépit de leurs différences, la plupart des classements s’accordent aujourd’hui à dire que «jamais autant de personnes n’ont vécu dans des démocraties, alors même que la valeur de la démocratie n’a jamais été aussi contestée», comme le formule le Secrétaire général de l’IDEA, Kevin Casas-Zamora.
Au niveau mondial, on observe une tendance claire pour les pays dotés de gouvernements représentatifs forts basés sur des régimes majoritaires, comme le Royaume-Uni ou la Hongrie, à reculer dans les classements, tandis que les démocraties représentatives organisées de manière plus proportionnelle (comme les pays nordiques) s’en sortent mieux.
Si plus de la moitié des pays restent des démocraties, le monde connaît actuellement une troisième vague d’autocratisation, qui présente des caractéristiques nouvelles. Les vagues précédentes ont eu lieu dans des pays où des tendances autocratiques étaient déjà en cours, tandis que la vague actuelle se produit surtout au sein des démocraties. Autre spécificité: auparavant, les régimes autocratiques parvenaient au pouvoir par le biais d’invasions étrangères ou de coups d’État militaires, tandis que le processus est aujourd’hui plus subtil et progressif, souvent camouflé par des modifications légales.
Un exemple typique de cette évolution «légale» vers l’autocratie s’observe en Russie, où un plébiscite du sommet vers la base, destiné à permettre à Vladimir Poutine de se maintenir au pouvoir jusqu’en 2036, a été organisé à la hâte dans l’ombre de la pandémie de Covid-19. De telles pratiques hautement discutables sont en contradiction avec ce que devraient être les ingrédients essentiels d’une société démocratique qui fonctionne.
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