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Un bouclier pour l’exécutif. Le prérequis des états généraux de la justice ?

BILLET

L’OBJECTIF AFFICHE, Lever l’incompréhension entre la justice et les citoyens et en finir avec la défiance entre les juges et les politiques

Les relations entre le pouvoir et les magistrats se sont encore tendues depuis la mise en examen le 16 juillet du garde des Sceaux Éric Dupond-Moretti, soupçonné d’avoir profité de sa fonction pour régler des comptes avec des magistrats avec qui il était en conflit lorsqu’il était avocat. Le chef de l’État avait alors défendu son ministre. « Je ne laisserai pas la justice devenir un pouvoir », avait-il dit en Conseil des ministres.

Comme le souligne Le Monde, Emmanuel Macron aura attendu la fin de son mandat pour prononcer un discours donnant sa vision de la justice, alors que pas moins de trois projets de loi, dont une loi de programmation sur cinq ans, ont été portés par ses gardes des Sceaux successifs. La nomination du dernier en date, Eric Dupond-Moretti, demeure l’acte le plus médiatique du président dans le domaine de la justice, rappelle Le Figaro. Une décision très mal reçue par le monde judiciaire et les syndicats de magistrats, qui ont obtenu la mise en examen en juillet de l’ancien avocat pour « prise illégale d’intérêts ».

METAHODOS a publié à plusieurs reprises sur cette grave crise institutionnelle.

Cette crise institutionnelle touche – par les relations particulières créées avec l’exécutif – l’ensembles des juridictions ou institutions de contrôle de l’exécutif et de l’administration : le Conseil d’Etat, le Conseil Constitutionnel, la Cour des Comptes et les juridictions financières, le Parlement…. Sans oublier les Autorités indépendantes.

En début de campagne effective pour la présidentielle alors qu’il ne reste que 6 mois, le président non encore officiellement candidat lance un chantier titanesque : lever l’incompréhension entre la justice et les citoyens… et en finir avec la défiance entre les juges et les politiques.

Toutes les idées de ces états généraux arriveront en pleine campagne présidentielle à deux mois du premier tour, au moment où le Parlement sera en retrait, lui qui devrait prendre sa part dans la réflexion et la mise en œuvre législative des éventuelles réformes.

C’est en dénonçant longuement « les lenteurs et les lourdeurs » de la machine judiciaire qu’Emmanuel Macron a donné le coup d’envoi lundi des « États généraux de la justice », qui doivent d’ici fin février proposer des réformes, une mission « irréaliste » pour les magistrats.

L’ampleur du chantier a, en effet, fait conclure à nombre de magistrats présents que la mission confiée à la Commission indépendante présidée par Jean-Marc Sauvé était irréaliste.

« Les lenteurs sont un sujet mais notamment lié au manque criant de personnel, qui n’a pas été évoqué », a réagi Céline Parisot, présidente de l’USM (Union syndicale des magistrats).

« Il y a beaucoup trop de chantiers ouverts en même temps, c’est ce qu’on craignait. Comment remettre à plat toute l’organisation judiciaire de A à Z en quatre mois ? Il ouvre tellement de portes qu’on ne voit pas les pistes les plus importantes », a-t-elle déploré. « On a l’impression que c’est pour habiller une réforme de la responsabilité des magistrats, avec une mobilité accrue, ce qui nous inquiète énormément ».

Comme pour la santé ou la sécurité précédemment, cette vaste consultation va réunir pendant plusieurs mois tout l’écosystème de la justice (juges, procureurs, greffiers, auxiliaires, avocats, mandataires huissiers, surveillants pénitentiaires…) ainsi que des citoyens volontaires.

Entre ouverture de campagne électorale et clôture d’un mandat en déficit de réformes ?

Les propositions formulées fin février fourniront au président-candidat une ossature de programme et rejoindre celles qu’il commence à égrener pour une échéance allant au-delà d’avril 2022, par exemple  :

  • le plan d’investissement France 2030,
  • le projet de loi de programmation et d’orientation pour la sécurité intérieure (Lopsi) de 2022
  • l’expérimentation à Marseille des « écoles du futur » dont les directeurs pourraient choisir les enseignants,
  • un projet de reforme institutionnelle que prépare En Marche.

Le moment n’est pas le plus serein et offre peu de chance à l’émergence de pistes à la fois partagées et audacieuses. Mais est ce l’objectif ? Le mélange des genres inédit qu’offre le président sortant entre programme de campagne et annonce d’actions qui doivent clôturer en feu d’artifice de reformes un quinquennat , au risque de déconstruire davantage encore la démocratie, jusqu’au dernier quart d’heure.

Les propositions qui émergeront de ces états généraux, la présidence promet que « tout ce qui pourra relever du règlement sera porté le plus vite possible, avec pragmatisme. Le garde des Sceaux sera chargé de manager cela jusqu’aux élections ». En revanche, puisque l’Assemblée aura terminé sa session (qui s’arrêtera fin février, un mois et demi avant la présidentielle) tout ce qui relèvera de la loi, y compris ce qui nécessite un financement budgétaire, devra attendre le prochain quinquennat.

LE PREREQUIS, Protéger les responsables politiques :

1 . LIMITER L’AUTORITE DE LA JUSTICE, 2 . MAITRISER LE PARLEMENT, 3 . FREINER LES CITOYENS

La préoccupation de l’exécutif présidentiel de renforcer et préserver ses pouvoirs face aux juges, aux citoyens et au parlement s’exprime non sans la véhémence des mots et des formules et prend ainsi une place prépondérante dans le projet présidentiel.

Le chef de l’Etat a appelé à « trouver les bons termes dans la mise en oeuvre de la responsabilité des élus et responsables publics dans ce contexte de pénalisation ». A ses yeux, il faut à la fois « redéfinir les termes de la responsabilité politique » et les « champs de la responsabilité pénale des fonctionnaires, élus et ministres » . « C’est parce que le monde politique a en quelque sorte perdu la culture de la responsabilité vis-à-vis des citoyens que s’exerce la recherche d’autres formes de responsabilités », estime le président de la République.


1 . LA JUSTICE

Emmanuel Macron a dénoncé lundi l’immixtion de la justice dans la vie politique. Il parle des perquisitions et des mises en examen en pleine crise du Covid de plusieurs de ses ministres et anciens ministres. Une judiciarisation qui peut amener à ne plus prendre aucune décision.

En ouverture des Etats généraux de la justice, le président a également reparlé de la suppression de la Cour de Justice de la République (CJR), seule juridiction habilitée à juger les ministres pour les actes commis dans l’exercice de leurs fonctions.

Le chef de l’Etat, qui avait déjà critiqué la mise en examen d’Agnès Buzyn par la CJR pour «mise en danger de la vie d’autrui», en a remis une couche hier, selon le Figaro :

«Il n’est pas possible de citer des responsables politiques quand une crise est encore en cours, c’est loin de l’apaisement dont je parle. […] Il ne faut jamais rendre impossible la décision publique et risquer de tomber dans l’impuissance publique, ou retirer au peuple les choix qui doivent être les siens.» Considérant que «le juge souverain, c’est le peuple»,.

Il avait deja affirmé en juillet : «La justice est une autorité, pas un pouvoir. Je ne laisserai pas la justice devenir un pouvoir.»  Aujourd’hui, il dit vouloir une redéfinition des «termes de la responsabilité politique et pénale».

Il a aussi souhaité une plus grande responsabilité des magistrats, en même temps que la réduction des responsabilités des élus et dirigeants est en chantier, comme l’illustre par ailleurs la réforme des juridictions financières publiques.. Mais sans suggérer de nouveaux moyens pour la justice, ce qu’attendent beaucoup de professionnels.

Est-ce à l’actuel garant de l’indépendance de la justice et futur candidat à sa réélection de critiquer la justice ?

Par notre constitution, il se retrouve juge et partie. L’ambiguïté de la part d’Emmanuel Macron est totale mais cela rentre en écho un écho : Comme le résumait un ancien magistrat, « c’est du populisme mainstream« . Une grande de majorité de Français y adhère… Sauf que ce « populisme mainstream » peut aussi rencontrer un tout autre écho politique en ce moment, et favoriser les extrêmes.

L’Etat de droit, une nouvelle fois, est mis en fragilité : c’est l’idée de contre-pouvoir, qui est remis en cause. Remettre en cause le fonctionnement de la justice par le président de la République lui-même, garant de son l’indépendance, en pleine campagne électorale, c’est donc audacieux et périlleux, pour ne pas dire davantage.

2. LE PARLEMENT

Voila pour le Judiciaire, le chef de l’Etat veut aussi toucher au législatif. C’est le droit d’amendement des parlementaires qui a encore fait l’objet d’une mise en cause hier. Un droit inscrit dans la Constitution mais qui, selon le garant des institutions cité par l’Opinion, favorise «l’inflation législative» et donc «l’illisibilité de notre droit». 

Il veut donc le restreindre à l’avenir, comme il l’a expliqué aux Etats généraux de la justice : «Les lois sont […] à chaque fois grossies par le droit d’amendement, qui est un droit légitime, mais il est clair que sur ce sujet, une réforme de notre Constitution s’imposera.»

METAHODOS publie un article à ce sujet demain.

Il y a deux ans, le président avait appelé les parlementaires LREM à déposer «moins d’amendements» . Une immixtion pas très «séparation des pouvoirs friendly» qui avait indigné jusqu’à certains marcheurs, dans la lignée de feu la réforme constitutionnelle qui prévoyait de limiter le droit d’amendement en fonction de la taille des groupes parlementaires.

3. LES CITOYENS

La justice empêche, le Parlement freine, les citoyens, eux également, gênent.

Le président a évoqué l’un de ses sujets préférés qu’il décrit ainsi : « mouvement orchestré par des citoyens souvent devenus procureurs a gagné de plus en plus de champs de nos relations sociales ».

« Quand des responsables, ministres, fonctionnaires, élus se trouvent cités dans une procédure pour une crise qui est encore en cours, nous sommes loin de l’apaisement et de l’équilibre », a indiqué le président de la République en ouverture des Etats généraux de la justice, à Chasseneuil-du-Poitou, en périphérie de Poitiers.

Des milliers de plaintes ont été déposées et la CJR mène également depuis juillet 2020 une instruction concernant le successeur d’Agnès Buzyn, Olivier Véran et l’ancien Premier ministre Edouard Philippe.

E. Macron a évoqué plus largement « un grand phénomène qui tend à s’accélérer », « principalement sous l’influence des pays anglo-saxons » de « pénalisation des relations sociales » en direction des « fonctionnaires, médecins, scientifiques, directrices et directeurs d’école, élus ».

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