
BILLET
Les propositions de METAHODOS – LES ENTRETIENS DE LA METHODE
relatives aux réformes institutionnelles, suscitent bien des réactions chez nos lecteurs. Un consensus se dégage sur les pistes proposées, à l’exception du point certainement le plus délicat : la concomitance des mandats présidentiel et législatif. Faut il ou non y mettre fin ? Les autres changements suffiraient ils ?
Voir en particulier dans nos publications la série d’articles consacrés au propositions de Benjamin MOREL et à nos observations ou commentaires.:
Benjamin MOREL: Renouveler nos institutions (Partie 1: constats/objectifs/méthode)
Renouveler nos institutions (Suite) – Objectif 2 – Desserrer l’étau du parlementarisme rationalisé
Le dernier article qui clôt la série publiée ce jour relatif à l’Objectif 5, à la Conclusion et au Bilan
Pour les pistes proposées en voici un rappel non exhaustif:
- reprendre la réforme de l’administration,
- ouvrir la fonction publique au monde économique, en organisant l’accès aux fonctions publiques de non titulaires issus des entreprises,
- reformer le Conseil d’Etat et la Cour des Comptes,
- revoir le statut des élus, incompatibilités, non cumuls…, plafonnement des indemnités, retraites… publiques ( politiques, administratives),
- revoir le financement des partis politiques,
- redéfinir les conditions du pluralisme médiatique,
- mettre en place une nouvelle régulation des sondages,
- veiller à la définition des droits fondamentaux et à leur respect,
- donner leur part dans l’action publique et la démocratie aux parties prenantes et corps intermédiaires,
- reformer les modalités de vote pour favoriser la participation, par un véritable accès à la citoyenneté, et garantir la légitimité et la représentativité des élus,
- reformer les procédures budgétaires et donner un rôle de pilotage au parlement dans la mise en œuvre des recherches d’efficience,
- accélérer la simplification des normes et procédures en établissant pour chacune de ces actions un programme pluriannuel défini par le gouvernement et le parlement avec l’appui du Conseil d’Etat et de la Cour des Compte,
- inventer une proximité avec les citoyens et les collectivités pour les politiques et actions européennes, par exemple avec des comités de citoyens et d’élus,
- réhabiliter pour l’Etat une fonction majeure: celle d’élaborer des politiques nationales stratégiques dans les grands domaines,
- définir, au niveau du gouvernement, une charte de gouvernance établissant les modalités de collaboration entre l’exécutif et l’administration,
- instaurer l’élaboration par le gouvernement et le Parlement, en début de législature ou en cas de nouveau gouvernement, d’un programme – feuille de route – de gouvernement et d’une METHODE de mise en œuvre ( gouvernance, parties prenantes, consultations… ),
- poursuivre la décentralisation, principalement en supprimant les chevauchements de compétences,
- clarifier les compétences respectives entre Communes et Interco, Départements et Régions en articulant fonctionnellement leurs actions deux à deux,
- limiter certains pouvoirs spécifiques de l’exécutif ( président de la République et premier ministre ) par exemple pour les nominations individuelles,
- instaurer une transparence sur les actions et décisions de la présidence de la République, par exemple avec la publication préalable des ordres du jour du conseil des ministres – établis par le président sur proposition du 1° ministre – et la publication d’un compte rendu public comportant les décisions et les modalités de mise en œuvre par le gouvernement,
- rétablir les prérogatives du Gouvernement, par rapport au président de la République et dans sa relation avec le Parlement, dans son autorité sur les ministres,
- établir un Contrat Social,
- établir un plan pluriannuel contrôlé par le Parlement pour réduire les inégalités et traiter les territoires en rupture ( les clivages sociaux, économiques et culturels entrainent un autre déclassement, démocratique),
- faire de l’éducation une priorité véritable, avec une loi de programmation fixant des moyens et résultats à atteindre,
- …
Dans le domaine institutionnel, il y a consensus pour reformer les institutions et, principalement, rétablir un rôle de fabrication de la loi et de contrôle et d’évaluation au Parlement et la proportionnelle ( dosée ou non) est une des premières mesures, qui en attendant les autres, permettrait un premier changement.
Rappel de la CONCLUSION DE BEJAMIN MOREL
« Cette note ne se veut en rien un remède magique aux maux de la société. Changer les institutions, ce n’est pas résoudre tous les problèmes qui la parcourent.
Changer les institutions, c’est se donner des instruments plus adéquats pour permettre au peuple d’agir sur son destin. Par ses institutions politiques, le peuple peut agir sur ses institutions civiles. Il peut alors engager une dynamique vertueuse de prospérité et d’émancipation.
Les meilleures institutions ne sont pas celles qui se conforment le mieux aux modèles théoriques des philosophes et des juristes. Ce sont celles que le Peuple s’approprie et qui permettent d’enclencher cette dynamique vertueuse.
De même que les manuels de poésie sont généralement écrits en prose, c’est dans l’aridité des textes constitutionnels que s’écrit en vers notre destin collectif. »
Nous avons tous les ingrédients du ressentiment collectif et le risque d’une fracture irréparable
Citons Alexandre Grard qui dans un commentaire à notre publication relative à l’Alerte de Pierre Rosanvallon indique:
« D’un côté, un gouvernement sans idées, sans idéologie, ou qui s’approprie toutes celles à sa portée, et de l’autre un peuple qui ne souhaite plus être gouverné. Éric Sadin dans « L’ère de l’individu tyran » a nommé ce phénomène l’ingouvernabilité permanente. Nous avons tous les ingrédients du ressentiment collectif et le risque d’une fracture irréparable.
Les individus ont peu à peu perdu l’envie de s’écouter les uns les autres et ne s’entendent plus. Le système institutionnel français que certains qualifient de technocratique a le seule tort de ne s’être pas adapté à son temps. Il est désuet, obsolète, coupé des réalités et de la complexité du monde. Ses représentants simplifient à l’extrême toutes les problématiques, ne s’attachent qu’à en traiter les symptômes et ont complètement abandonné la volonté d’identifier et traiter leurs causes. Ils produisent du « verbe » au lieu d’actions ciblées et locales pour répondre à la multitude des situations que des réponses globalisantes ne sauront embrasser.
L’éléphant est dans le magasin de porcelaine. Tous ses mouvements sont désastreux et produisent un bruit assourdissant. Le gouvernement s’agite et nous mourons, aurait dit Alfred de Musset.«
Nous vous proposons – pour prolonger nos réflexions – un article d’Alain POLICAR suggéré par Judith Auclair qui met l’accent, résume t elle sur la « personnification du pouvoir exécutif nuisible à la démocratie ».
Alain Policar, Chercheur associé en science politique (Cevipof), Sciences Po – USPC . Metahodos avait déjà publié un article :
« La dépréciation du vrai ruine notre monde commun«
qu’il avait rédigé sur l’ouvrage de Myriam Revault d’Allonnes: La faiblesse du vrai. Ce que la post-vérité fait à notre monde commun.
https://metahodos.fr/2020/09/16/la-depreciation-du-vrai-ruine-notre-monde-commun/
La démocratie compromise par le brouillage la frontière entre le vrai et le faux, alors qu’elle repose sur le conflit des opinions et donc sur l’horizon d’une vérité commune. Telle est la thèse de Myriam Revault d’Allonnes.
Dépréciation et misère du vrai. Cet effacement, dans la vie démocratique, de la frontière entre le vrai et le faux autorise le processus de falsification de la réalité. Elle explore la relation entre l’action – « l’agir et le pouvoir faire » – et l’imagination. Quand l’opinion tient lieu de réalité.
Un risque clair: un exécutif tout-puissant débarrassé des contre-pouvoirs institutionnels
« On peut craindre que, débarrassé des contre-pouvoirs institutionnels, la voie choisie soit celle d’un exécutif tout-puissant indifférent à l’expression de la souveraineté populaire, sans rien, dès lors, qui puisse empêcher l’application systématique du programme majoritaire. », avertit Alain POLICAR.
Un régime n’est démocratique que si le peuple jouit, individuellement et collectivement, de la possibilité permanente de contester les décisions de son gouvernement. Le présidentialisme à la française n’a nul besoin de l’accord parlementaire.
En finir avec la « monarchie républicaine » ?
L’auteur s’interroge sur les conditions d’un approfondissement de la démocratie, de nature à éloigner un risque dont nous ne sommes pas à l’abri, celui de l’illibéralisme. Il dresse un constat sur la spécificité françaises en appelant à un renforcement du Parlement.
« Dans quelle autre démocratie a-t-on un prince qui, bien qu’irresponsable politiquement devant l’Assemblée nationale, décide de tout ?« . Il rappelle en particulier que le président de la République nomme notamment les ministres, ambassadeurs, chefs des parquets, dirigeants d’entreprises publiques, etc.
Il n’en définit toutefois pas les modalités, sauf – en creux – son refus de la proportionnelle intégrale.
ARTICLE
Et si la France optait pour un régime parlementaire ?
Alain Policar
Mai 2020 The Conversation
La présente crise sanitaire doit être l’occasion d’une interrogation sur les conditions d’un approfondissement de la démocratie, de nature à éloigner un risque dont nous ne sommes pas à l’abri, celui de l’illibéralisme, ainsi que le souligne Luc Rouban dans la note du Cevipof de mars dernier, « L’emprise du libéralisme autoritaire en France ».
On peut craindre que, débarrassé des contre-pouvoirs institutionnels, la voie choisie soit celle d’un exécutif tout-puissant indifférent à l’expression de la souveraineté populaire, sans rien, dès lors, qui puisse empêcher l’application systématique du programme majoritaire.
Un régime n’est démocratique que si le peuple jouit, individuellement et collectivement, de la possibilité permanente de contester les décisions de son gouvernement. Au principe de la « contestabilité », tel qu’il a été théorisé par le philosophe Philip Pettit, se trouve l’idée que ceux qui prennent les décisions doivent rendre les comptes à ceux qui sont affectés par celles-ci. Or, dans la France d’aujourd’hui, les canaux par lesquels la contestation peut s’exercer en amont d’une décision, c’est-à-dire lors de son élaboration à l’Assemblée, sont sans réelle portée. Le présidentialisme à la française n’a nul besoin de l’accord parlementaire.
La force de l’ancien roi
En effet, depuis la réforme constitutionnelle de 1962 (instaurant l’élection du président de la République au suffrage universel), et le passage du septennat au quinquennat (avec concomitance des présidentielles et des législatives), les choix politiques essentiels reviennent exclusivement à l’exécutif.
On pouvait s’attendre à ce processus de délitement démocratique que nous connaissons depuis : le 6 octobre 1848, en réponse à Lamartine, Jules Grévy, devant l’Assemblée constituante, décrivait les pouvoirs que l’on projetait de confier au président de la République comme exorbitants : il disposait de la « force matérielle » de l’ancien roi (c’est-à-dire la concentration des pouvoirs) et de la « force morale » nouvelle (le roi, ne pouvant se prévaloir que de la souveraineté historique, ne la possédait pas) que confère le suffrage universel.
Portrait photographique de Jules Grévy dans les années 1870. Il sera président de l’Assemblée nationale en 1871 puis de la présidence de la République en 1879.
Aussi Grévy concluait-il qu’il « un semblable pouvoir, conféré à un seul, quelque nom qu’on lui donne, roi ou président, est un pouvoir monarchique ». Que n’a-t-on tenu compte de cet avertissement qui insistait utilement sur le danger de la perversion césarienne ou bonapartiste, en tant que moyen de contourner les contre-pouvoirs ?
Une démocratie dysfonctionnelle
Et même si le déficit démocratique ne se réduit pas au vote électif, on ne peut sans danger priver celui-ci de toute réelle portée. Une participation électorale de plus en plus faible, une méfiance grandissante à l’égard des « élites » issues des urnes et, au-delà, un doute constant quant à la neutralité de l’État, tout concourt à l’érosion du système démocratique.
Le sondage OpinionWay pour le Cevipof d’avril 2020 indique que pour 64 % des enquêtés, la démocratie ne fonctionne pas bien en France.
Pourtant, des études montrent que l’intérêt pour la chose publique n’a pas disparu, mais il se manifeste plus sur le mode du rejet que sur celui de l’adhésion. On peut certes rappeler que l’alternance entre rejet et adhésion est constitutive, comme l’a souligné Pierre Rosanvallon, de la démocratie représentative :
« Le principe de construction électorale de la légitimité des gouvernants et l’expression de la défiance citoyenne vis-à-vis des pouvoirs ont pratiquement toujours été liés ».
Mais, précisément, ce lien se défait inexorablement et ne demeure que la défiance. Celle-ci ne peut durablement s’installer sans porter avec elle un nihilisme du mécontentement, qui se réalise ultimement dans un populisme caractérisé par la critique des élites et, corrélativement, une préférence pour les vertus du bon sens contre la rigueur méthodologique de la science (voir les débats autour de l’hydroxychloroquine et de la personnalité de son promoteur).
Rompre avec la spécificité française
L’une des façons de retisser le lien, modeste mais nécessaire, serait de faire cesser la spécificité française et d’opter pour un régime parlementaire.
Ce dernier est caractérisé par l’équilibre des pouvoirs entre le cabinet ministériel et le Parlement, comme nous pouvons l’observer en Grande-Bretagne.
Dans ce cadre, le président n’a qu’une fonction limitée, éventuellement d’arbitrage. Pour reprendre une formule célèbre, il se contente d’« inaugurer les chrysanthèmes »
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Le général de Gaulle, emblème de la personnification du pouvoir à la française, INA.
C’est le cas en Italie ou en Israël où le président assure les fonctions protocolaires, veille au bon fonctionnement des pouvoirs publics ou encore à l’indépendance de la nation.
La question de la popularité du régime parlementaire en France mériterait des sondages propres, qui ont plutôt tendance à mesurer l’attachement des Français au régime présidentiel, mais nous manquons de données récentes à ce sujet.
Est-il politiquement acceptable de l’invoquer ? Les Français se sont habitués à la personnification du pouvoir, qui conduit à privilégier l’image et les traits de caractère du candidat à la présidence.
Dès lors, la confiance accordée à ce dernier repose plus sur ses qualités affectives perçues que sur sa compétence (l’anglais utilise le mot trust pour la confiance envers nos proches et confidence pour celle liée à la compétence attribuée aux acteurs publics). Or les récents sondages comme celui du baromètre de confiance du Cevipof déjà mentionné indiquent que ces indices de confiance sont au plus bas.
En finir avec la « monarchie républicaine »
Les données révèlent que la confiance dans l’institution présidentielle n’est que de 34 % et celle envers l’Assemblée nationale de 33 %. En comparaison, en Allemagne, le Bundestag jouit d’une confiance de 60 % et, au Royaume-Uni, The House of Commons de 53 %.
Si donc nous souhaitons un exercice critique de la citoyenneté, qui suppose la possibilité de la contestation, il faut en finir avec la « monarchie républicaine », selon l’expression utilisée jadis par le constitutionnaliste Maurice Duverger.
Dans quelle autre démocratie a-t-on un prince qui, bien qu’irresponsable politiquement devant l’Assemblée nationale, décide de tout ?
Rappelons-le, le président de la République nomme notamment les ministres, ambassadeurs, chefs des parquets, dirigeants d’entreprises publiques, etc.
Les choix de communication et d’image d’Emmanuel Macron illustrent pleinement sa volonté d’incarner un exécutif fort. Ici le 7 mai 2017, juste avant son discours au Louvre lors de son élection comme président de la République. Philippe Lopez/AFP
Le Premier ministre, lui, exécute tout en étant responsable devant des députés réduits à un rôle marginal, lorsqu’ils appartiennent à la majorité, ou, le plus souvent à l’impuissance, lorsqu’ils sont dans l’opposition.
Certes, l’hypothèse d’une cohabitation (qui rendrait le président dépendant de la nouvelle majorité parlementaire) n’est pas théoriquement exclue. Mais la concomitance, depuis le passage au quinquennat, des élections présidentielles et législatives, rend improbable le vote d’une motion de censure, les électeurs souhaitant assurer une majorité de gouvernement au président nouvellement élu.
Une Assemblée plus équilibrée
La survie de la démocratie impose donc une Assemblée élue, pour l’essentiel, au scrutin majoritaire afin d’en garantir, durant la durée de la mandature, la pérennité.
Rien évidemment n’interdit une part de proportionnelle, comme l’Allemagne le fait sans inconvénient depuis fort longtemps avec une forte stabilité gouvernementale. En s’inspirant du modèle allemand, la France pourrait rééquilibrer la réalité de son paysage politique.
L’écueil à éviter serait celui de la proportionnelle intégrale réclamée par certains partis ou mouvements sociaux : dans ce système, chaque parti politique dispose d’un nombre de sièges proportionnel au total des suffrages obtenus.
Or, l’origine de l’instabilité des républiques parlementaires se situe dans la proportionnelle intégrale. Chaque formation politique voit son poids électoral strictement représenté au Parlement, ce qui rend nécessaire les alliances entre des paris qui s’opposent sur grand nombre de sujets. Ainsi les coalitions ne tiennent que grâce à l’appoint de petits partis extrémistes religieux ou nationalistes, susceptibles de modifier les alliances, ce qui leur donne une capacité de nuisance sans commune mesure avec leur poids réel.
On entre alors dans une démocratie de marchandages, comme Israël vient d’en apporter, une fois encore, la démonstration.
Si la France optait pour un régime parlementaire, peut-être alors pourrait-on parler des idées plutôt que des individus.
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