Aller au contenu principal

Gérald Bronner: « Le vrai est une pierre angulaire de la démocratie »

Incident du Capitole : le sociologue Gérald Bronner décrit une « rage sans programme politique » et de la « dynamite pour la démocratie »

A l’occasion de la sortie de son livre « Apocalypse cognitive« , le professeur de sociologie Gérald Bronner était l’invité de Patrick Cohen sur Europe 1. S’exprimant sur les violences de mercredi à Washington, il affirme y voir le signe que l’irrationalité n’est plus confinée aux réseaux sociaux mais peut avoir des conséquences réelles sur l’action politique.

Il est temps, selon lui, de reprendre le pouvoir face à l’accumulation d’informations ne faisant appel qu’à nos sentiments les plus immédiats. Dans son dernier ouvrage , l’Apocalypse cognitive, éditions PUF, 372 p, il analyse le recul de la rationalité dans le débat public et l’avancée constante des infox.

La bonne nouvelle: il constate l’augmentation continue de notre temps de cerveau disponible. Comparé au début du XIXe siècle, nous disposons de huit fois plus de disponibilité mentale. C’est une source de progrès qui s’est traduite par une formidable augmentation du niveau d’éducation dans le monde, une réduction des inégalités hommes-femmes et des milliers d’autres avancées… Mais que faisons-nous de tout ça ?

Les temps de veille et d’insomnie ne cessent d’augmenter. Les écrans captent de plus en plus notre attention. Aux USA, cela représente six heures et quarante minutes quotidiennes pour les jeunes de 18 ans. Les écrans ne sont pas vraiment des supports de connaissance.

Pour l’auteur, Donald Trump incarnait incontestablement ce qu’il a appelé « la démocratie des crédules » dans un autre livre – il a écrit une vingtaine d’ouvrages. Pour tempérer l’enthousiasme, il a certes perdu, mais avec plus de voix qu’en 2016, alors que sa gestion de la pandémie a été lunaire.

Metahodos avait publié un article au sujet de ce précédent livre: Relire Gérald BRONNER: de la démocratie des crédules à la démocratie de la connaissance https://metahodos.fr/2020/08/19/relire-gerald-bronner-de-la-democratie-des-credules-a-la-democratie-de-la-connaissance/

Nous sommes à un carrefour civilisationnel.

A-t-il déclaré à La Croix, « Nous constatons la mise sous tutelle de plus en plus prononcée de notre vie publique par les régions postérieures de notre cerveau. Mais nous ne sommes pas que ça : nous avons aussi des ressources cognitives, notre cortex orbitofrontal, qui sert à tempérer notre volonté de jouissance à court terme.

Cette apocalypse cognitive, appuyée sur une anthropologie réaliste de l’homme, nous impose de prendre nos responsabilités. De nombreux éléments montrent que c’est encore possible. De ce bras de fer cognitif naîtra soit l’espoir, soit l’affaissement de notre civilisation. Retrouvons nos esprits. C’est le moment ou jamais. La meilleure régulation reste sans doute individuelle – puisque nous sommes tous devenus des agents du marché de l’information –, en nous appuyant sur le développement de notre esprit critique. Ce livre n’est qu’un début. Il faut continuer le combat.« 

Dans une autre de nos publications, Une éducation bien timide face à la mésinformation et aux défis du numérique https://metahodos.fr/2020/08/21/une-education-bien-timide-face-a-la-mesinformation-et-aux-defis-du-numerique/, nous présentions les solutions que G Bronner propose pour renouer avec la connaissance, contre la crédulité:

La solution réside selon lui bel et bien « au cœur de nos esprits (…) L’esprit critique, s’il exerce sans méthode, conduit facilement à la crédulité. Le doute a des vertus heuristiques, c’est vrai, mais il peut aussi conduire, plutôt qu’à l’autonomie mentale, au nihilisme cognitif ».

Son expression: « L’esprit critique, s’il exerce sans méthode, conduit facilement à la crédulité.«  nous « parle » car cela correspond à notre ambition au sein de metahodos: nous concentrer sur la méthode, méthode du vivre ensemble, méthode de l’action publique.

Le droit au doute, que nous évoquions comme point de départ, implique ainsi, selon Gérald Bronner, des devoirs, au premier rang desquels celui de la méthode. Une formation intellectuelle différente de la part de notre système éducatif, d’une part, et « un type d’ingénierie de la communication » différent, dont l’ auteur dessine les contours, se basant sur divers exemples de nouveau tout à fait passionnants. Un mode d’apprentissage différent serait donc souhaitable.

« Je me sens rationaliste car je crois que la raison doit à présent être défendue comme un bien commun dans le débat public. » dit il.

Le vrai est une pierre angulaire de la démocratie

La rationalité au sens d’un établissement universel du vrai est une pierre angulaire de la démocratie, car sans elle on ne voit plus comment il serait encore possible de se mettre d’accord sur quelque chose. On pourrait même ajouter que le rationalisme est la pierre angulaire du sécularisme.Que les faits soient vérifiables par tous est une condition de la démocratie. Les arguments sont de nature théologique à partir du moment où ils s’appuient sur des éléments qui exigent la foi. Le partage est donc extrêmement important à délimiter, et l’on ne nous verra pas céder un pas sur ce terrain.

Formation et responsabilisation des journalistes

De même, Gérald Bronner suggère une meilleure sensibilisation à l’existence des biais cognitifs dans les écoles de journalisme, afin de développer le réflexe de méfiance et la construction « d’hypothèses méthodiques et alternatives ». La formation, comme pour les médecins, pourrait se faire davantage en continu. Il propose aussi un système de sanctions pour faute professionnelle, afin d’éviter les excès que l’on connaît, par manque de déontologie.

Autre publications de METAHODOS – LES ENTRETIENS DE LA MÉTHODE, en lien avec le sujet:

https://metahodos.fr/2020/11/24/les-fake-news-menacent-elles-vraiment-le-debat-public/

https://metahodos.fr/2020/08/14/relire-sophia-rosenfeld-mensonge-et-democratie/

https://metahodos.fr/2020/08/04/la-communication-politique-un-monde-en-soi-qui-dicte-ses-regles-a-la-democratie/

https://metahodos.fr/2020/07/29/lage-de-la-fabrique-du-consentement-propagande/

https://metahodos.fr/2020/07/19/etienne-de-la-boetie-du-bel-exercice-de-la-liberte/

https://metahodos.fr/2020/07/18/du-consentement-des-asservis-malencontreuse-modernite-de-lessai-de-la-servitude-volontaire/

https://metahodos.fr/2020/07/13/le-vote-doit-rester-au-coeur-de-la-democratie-les-plateaux-televises-et-les-debats-politiques-doivent-revenir-au-reel-du-corps-social/

https://metahodos.fr/2020/07/04/les-fake-news-et-les-racines-de-la-verite-en-politique/

https://metahodos.fr/2020/06/22/deni-resilience-amnesie/

https://metahodos.fr/2020/06/18/linstrumentalisation-des-peurs-et-leur-mediatisation/

https://metahodos.fr/2020/06/16/le-discours-politique-defiance-confiance/

https://metahodos.fr/2020/06/18/liberte-dexpression-et-reseaux-sociaux/

https://metahodos.fr/2020/06/12/reseaux-sociaux-et-incommunicabilite-politique/

https://metahodos.fr/2020/06/12/la-promesse-democratique-des-reseaux-sociaux/

https://metahodos.fr/2020/05/27/la-seule-facon-de-combattre-communiquer-avec-verite/

https://metahodos.fr/2020/05/24/respect-confiance-et-democratie/

https://metahodos.fr/2020/04/11/le-courage-politique-ne-doit-jamais-se-dire-courageux/

Et également: Relire Marcel PROUST: « Notre personnalité sociale est une création de la pensée des autres » https://metahodos.fr/2020/08/22/relire-marcel-proust-notre-personnalite-sociale-est-une-creation-de-la-pensee-des-autres/

Pierre RIDEAU, nous avait adressé son excellent article, ecrit pour notre site, en précisant : « En lisant le billet consacré à la démocratie des crédules de Gérald Bronner et notamment cette phrase ô combien vraie ! citée par Johan Rivalland,: « On peut montrer que quelque chose existe, mais il est impossible de montrer définitivement que quelque chose n’existe pas« 

Nous vous proposons en complément les extraits d’une émission de radio du 6 janvier

EMISSION

Gérald Bronner : « Nous avons huit fois plus de disponibilité mentale qu’au début du XIXe siècle ! »

L’INVITÉ DU GRAND ENTRETIEN 6 janvier 2021

 Nicolas Demorand , Léa Salamé, Gérald Bronner Professeur de sociologie à l’Université Paris Diderot – Paris VII

« Notre cerveau est capable de traiter de l’information même quand il ne s’en aperçoit pas », rappelle le sociologue. « Il s’intéresse, presque en-deçà de notre volonté, à un certain nombre d’informations : la sexualité, les informations égocentrées, la conflictualité, la peur…

Toute une série d’éléments saillants qui vont être révélés par ce qui se produit aujourd’hui : l’alignement généralisé, notamment sur le marché de l’information, le marché cognitif, entre toutes les demandes possibles et toutes les offres disponibles. Cet alignement provoque un dévoilement de ce que nous sommes, de nos compulsions, de nos attentes spontanées : c’est ça que signifie “apocalypse”, la révélation. Toute la question est de savoir si l’on va oser regarder dans le miroir ! »

« La vérité a besoin d’être défendue dans ce marché dérégulé de l’information »

Il assure qu’il ne faut « pas diaboliser les écrans, qui sont seulement un média comme un autre », même s’il y voit « l’arme du crime idéal pour ce cambriolage attentionnel ». « Ça dépend de comment on en use : la bataille n’est pas perdue.

Il faut prendre conscience de ces boucles qui peuvent être addictives, comme les informations auto-centrées. Partout, il y a des appeaux, des pièges intentionnels. La question de la conflictualité, par exemple, est intéressante : j’ai pu constater que, sur des personnages publics aussi différents que Manuel Valls, Alain Finkielkraut ou le rappeur Booba, on n’imagine pas facilement que ce qui nous intéresse le plus dans leur œuvre, ce sont lers moments de conflictualité. Les recherches Google à propos de Booba par exemple, c’est la bagarre avec Kaaris dans un aéroport parisien ; pour Finkielkraut, ce sont les deux moments où il s’est fait agresser : pour Valls, c’est le moment où il a été giflé pendant la campagne des primaires. »

Il y voit aussi l’explication de la montée des fake news : « Ce qu’on imaginait, c’est que dans un marché des idées, par la vertu de la concurrence, ce seraient les produits les plus vrais, les mieux argumentés qui domineraient.

Jefferson disait : “La vérité n’a pas besoin d’être défendue, elle se défend toute seule.” La terrible conséquence de ce qu’on observe, c’est que ce n’est pas vrai : la vérité a besoin d’être défendue, tout simplement parce que sur ce marché dérégulé de l’information, dans cette cacophonie, ce qui l’emporte ce sont les meilleurs produits cognitifs. Pas les plus performants du point de vue de la rationalité, mais les plus performants du point de vue de nos attentes intuitives. La crédulité n’est qu’une facette de cette apocalypse cognitive, mais une facette extrêmement inquiétante, notamment à l’heure de la pandémie. »

« Les journalistes devraient réfléchir à une institution entre pairs pour réguler »

« Ce qu’on voit, c’est qu’il y a une interpénétration des logiques du numérique dans les médias conventionnels », regrette Gérald Bronner. « Ces derniers ont besoin, malheureusement, pour des raisons de survie, de capter de la disponibilité mentale. La scandale par exemple est un très bon piège attentionnel. Mais nous sommes tous responsables : les médias sont responsables, car ce sont des professionnels de la diffusion de l’information, et en même temps il y a une demande forte. »

Quelles solutions pour les médias, afin de ne pas devenir des « pièges à attention » ? « On ne peut pas résister, on ne peut pas regagner de la liberté éditoriale, si l’on est abandonné à la logique d’un marché dérégulé. Il faut des formes de régulation : j’en connais au moins une, l’institutionnalisation de la régulation. Je ne suis pas sûr que le CSA soit aujourd’hui, compte tenu de la réalité numérique, l’instance idoine, mais je le redis : les journalistes devraient réfléchir à une institution entre pairs (or le président du CSA est nommé par le pouvoir politique) pour réguler. »

Quitte à risquer une censure ? « À partir du moment où vous parlez de régulation et de modération, il y a une hiérarchie des contenus qui est proposée. On peut appeler ça de la censure, on peut aussi se rappeler qu’au contraire, la pression concurrentielle organisée sur un marché dérégulé, c’est la pire des censures. C’est celle qui va vous conduire à traiter une information plutôt que telle autre parce que vous espérez un nombre de clics et de partages. »

11 réponses »

Laisser un commentaire

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur la façon dont les données de vos commentaires sont traitées.